Quinze ans après les débuts, où en est le Bondy Blog ?

Média en ligne né lors des révoltes urbaines de novembre 2005, à la suite de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, le « Bondy Blog » est devenu une référence dans le paysage médiatique français. Alliant journalisme et éducation aux médias, le « BB » continue, quinze ans après ses débuts, d’alerter sur la nécessité d’une presse libre, indépendante, engagée et connectée, dans tous les sens du terme.
  • Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le Bondy Blog a été impulsé par des journalistes suisses, dont Serge Michel. Mohamed Hamidi, bondynois, devenu réalisateur, prof à Bobigny en 2005, prend leur relais. Alors que médias traditionnels et grandes chaînes de télévision regardent les quartiers de la périphérie parisienne à distance, eux s’installent en plein cœur de Bondy pour y raconter les révoltes, la colère des habitants, comprendre ce qu’il s’y joue. Après trois mois sur place, vu le succès de l’expérience, le BB devient une évidence : il faut pouvoir passer la main. C’est ce que raconte le premier article sélectionné dans le livre anniversaire, "Jusqu’à quand ?", édité aux éditions Fayard et paru cet automne.

    Le BB revient ainsi sur quinze ans d’articles, de reportages et d’analyses. Quinze thématiques pour répondre à cette fameuse question que tout le monde leur pose : « Qu’est-ce qui a changé ? »

    Toujours un pas de côté

    Latifa Oulkhouir est directrice du BB depuis le 1er janvier 2019. Elle l’a rejoint en 2013. « J’ai vu des gens qui me ressemblaient, qui avaient les mêmes centres d’intérêt. Ça m’a paru simple et sans jugement. »  

    Au BB, « il n’y a pas de problème à dire qu’on est engagé », assure-t-elle. Dans "Jusqu'à quand ?", le livre revient sur les contre-enquêtes menées dans un bar PMU de Sevran accusé à tort d'être "anti-femmes", ou encore le fantasme du cinéma sur les quartiers populaires. Sont traités les violences policières, le chômage, tout comme les combats et les réussites, à l'image de Kylian Mbappé interviewé après sa victoire à la Coupe du monde de football et de retour à Bondy, où il a grandi. « Finalement, c’est un journalisme où on apprend à ne pas être formaté tel qu’on peut l’apprendre. Il n’y a pas qu’une vision. Tout notre travail est de faire un pas de côté à chaque fois. De regarder ce qu’il se passe autour. C’est une pratique qui consiste à pencher la tête : notre valeur ajoutée est là. »

    Dans les quartiers populaires, qui « concentrent des problèmes sociaux, économiques, démographiques, migratoires, mais aussi des solutions, des dynamiques », le BB travaille les angles morts. « Avant la crise sanitaire, on se rendait compte que la santé n’était pas traitée, y compris par nous. On a constaté les inégalités devant la vie et la mort. » En ajustant au fur et à mesure leur ligne, le BB évolue avec les personnes qui le font.

    Raconter, mais aussi former

    L’équipe est composée d’horizons sociaux différents. Depuis la fondation, l’engagement se situe aussi au niveau de la transmission. Le fait de passer la main fait partie de leurs valeurs. La moyenne d’âge en atteste : 25 ans.

    « Ça a toujours été une volonté d’être professionnel mais d’accueillir aussi des citoyens et des plus jeunes qui se sentent parfois à l’étroit et qui ont envie de raconter des choses. Ça nous assure aussi un lien avec ce qu’il se passe sur le terrain et avec un œil neuf. » Une prise avec le quotidien essentielle qui en fait l’une des rédactions les plus ouvertes de l’Hexagone.

    « Tout le monde peut assister à nos conférences de rédaction, poursuit Latifa Oulkhouir. C’est ce qui est précieux. »

    Un rôle (média) modèle

    À ses débuts, le BB explore le territoire des quartiers en Île-de-France. Mais à mesure qu’il prend de l’importance, son terrain s’agrandit. « Notre raison d’être a vocation à s’appliquer sur d’autres territoires pour donner la parole à toutes celles et ceux qu’on n’entend pas, plus ou mal. C’est une réalité qui s’applique finalement aux territoires ruraux, aux quartiers et même à l’international. »

    Le BB est aujourd’hui un modèle et essaime un peu partout. « Quand on voit ce qu’on est devenu, on se dit qu’on peut le faire : créer son média et fonctionner. La volonté de faire entendre est présente dans plein d’endroits. » Récemment, c’est le Brésil qui contactait le BB pour créer un média des périphéries à Sao Polo. Des émules, on en trouve aussi à Lyon, dans le Centre ou à Toulouse. « Le BB est une marque déposée mais nous n’y sommes pas accrochés. On laisse faire tant que ça nous correspond. Le BB est encore une association avec 100 000 euros de budget et deux salariés temps plein ; ces médias tiennent par l’engagement des gens qui le constituent. C’est ce qui est le plus beau : quinze ans n’auraient pas été possible sans ces engagements. »

    Avec ses 100 000 visiteurs uniques par mois, le BB rappelle la nécessité, pour la démocratie, d’une pluralité d’opinions et d’informations. « Aujourd’hui il y a un manque dans la manière de couvrir ces territoires, or ces thématiques occupent une place importante : insécurité, communautarisme… Il est donc important qu’il y ait des médias qui fassent contrepoids. Qu’ils marquent la différence entre la communication politique et la réalité. Ça a d’énormes conséquences sur la vie des gens ». Quinze ans après donc, l'histoire continue. 

    www.bondyblog.fr/

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