2020 M11 6
À tous les gens qui affichent un intérêt plutôt limité à l'existence de structures dédiées aux seniors LGBT+ en France (lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queer…), Stéphane Sauvé a la réponse imparable. Deux anecdotes qui résument à elles seules pourquoi un environnement plus sûr peut être indispensable aux personnes souhaitant vieillir dans un espace dit "affinitaire" :
« Un vieux monsieur qui résidait en Ehpad avait posé une photo de son compagnon sur sa table de chevet, et quand une infirmière lui a demandé qui était la personne dans le cadre, il ne s’est pas senti assez en sécurité pour assumer qui il était et dévoiler le lien qui les unissait. Quelques jours après, la photo n'ornait plus sa chambre. Ou c’est cette femme lesbienne, qui a priori se fichait du regard des autres, mais qui, lors des thés dansants, où il y a toujours plus de femmes que d’hommes par défaut, était traitée en paria lorsqu’il s’agissait de lui accorder une danse. Alors que les femmes dansent régulièrement ensemble, habituellement. »
En tant qu’ancien directeur d’EHPAD, Stéphane Sauvé, désormais à la tête de l’association Les Audacieuses & Les Audacieux, a alors un déclic : la France a grand besoin d’une Maison de la diversité, une résidence pour seniors qui, tout en se voulant hétéro-friendly, voire intergénérationnelle, répondrait aux besoins de celles et ceux qui se sentent plus à l’aise auprès de leurs semblables. « Les soignants s’adaptent très vite en général, mais c’est beaucoup plus délicat de changer les mentalités des autres résidents ou de leurs familles. Si vous avez été homophobe toute votre vie, vos valeurs ne vont pas évoluer à 80 ans », assure-t-il.
Deux pistes sérieuses, en Ile-de-France et à Nice
En 2017, il se rend donc à Berlin, où ce type de structures existe déjà (tout comme aux Etats-Unis, au Canada, en Suisse et en Espagne, entre autres). À son retour en France, il crée l’association (reconnue d’intérêt général en 2019). Cependant, fidèle à l’idée qu’il se fait de vieillir entouré d’une bande de potes plutôt que dans l’isolement, il prend le problème à l’envers et commence par créer, dans tout le pays, des communautés, d’abord pour se connaître, socialiser, afin de pouvoir mieux se choisir quand les maisons ouvriront.
Car si des groupes de seniors LGBT+ randonneurs, joueurs de cartes ou adeptes d'autres activités existent, ils abordent rarement leurs vieux jours et la perte d’indépendance, retournant à leur lot de solitude le soir venu. « Quand, dans l’immense majorité des cas, tu n’auras pas d’enfants pour venir te rendre visite en maison de retraite, le fantasme de la bande d’amis vivant ensemble et s’entraidant prend tout son sens. Il fallait d’abord créer ces amitiés. »
Si le volet associatif (Les Audacieuses & Les Audacieux) met donc en place des discussions, des ateliers ou des formations pour faire se rencontrer les seniors LGBT+ et créer du lien social autour de thèmes liés à la vieillesse ou à la sexualité, devant l’intérêt grandissant de ces derniers, une recherche de partenaire immobilier s’organise en parallèle. Jusqu’au jour où, en 2019, la Fondation des Petits Frères des Pauvres se penche sur le projet. Depuis, un premier budget de 5 millions d’euros a été sécurisé ; il servira à acheter une première maison, activement recherchée en Ile-de-France ou à Nice. Deux pistes à l'étude semblent très prometteuses.
L’objectif est bien sûr de développer ce mode d’habitat ailleurs dans l’Hexagone. « A terme, j’aimerais qu’il y en ait une dizaine en France », assure Stéphane Sauvé, qui organise lui-même sa vie entre le pays basque, sa région d’origine, et Paris. Après avoir quitté le monde médico-social, il est devenu un spécialiste de la silver economy, en plein boom, vieillissement de la population oblige.
« Quand, dans l’immense majorité des cas, tu n’auras pas d’enfants pour venir te rendre visite en maison de retraite, le fantasme de la bande d’amis vivant ensemble prend tout son sens. »
« On est vite taxé de ‘communautariste’ »
Toujours dans l'idée d'une communauté d'amis devenue communauté de vie, les Audacieuses et Audacieux enthousiasmés par le projet en Ile-de-France et à Nice discutent donc en ce moment-même du programme architectural, des plans et de détails (buanderie partagée ? Chambres d’ami.e.s mutualisées ? Salles d’activités collectives ?...) en adéquation avec leur style de vie.
Une co-construction des solutions toutefois parsemée d’obstacles : « Si ma Maison de la diversité s’adressait par exemple à d’anciens musiciens, elle serait déjà ouverte, mais le sigle 'LGBT' est encore vu comme une menace par certains décideurs. On est très vite taxé de ‘communautariste’. Les politiques publiques favorisent le maintien à domicile à tout prix, mais lorsque tu es LGBT+ et que tu n’as pas d’aidant naturel, ladite ‘communauté’ prend tout son sens. On veut également démontrer les vertus du vivre-ensemble sur la prévention de la perte d’autonomie ». Dans un premier temps, cette Maison de la diversité s’adressera en effet aux seniors LGBT+ autonomes Elle sera aussi ouverte à tous les seniors hétéro-allié.e.s.
Les choses sont donc en train de bouger. La Ville de Lyon, curieuse de la solution "clé-en-main" apportée par cet ambitieux projet, veut même désormais sa propre Maison, quitte à damer le pion aux autres villes déjà en lice. Maintenant délégué général de l’asso, Stéphane Sauvé continue à se consacrer à la création de communautés, tandis que ses partenaires trouvent les immeubles. Conscient que, s’il n’y a pas vraiment de réponse universelle, la sienne a touché une corde sensible chez de nombreuses personnes LGBT+ françaises.
Vous pouvez cliquer ici pour soutenir le projet.