2022 M03 10
Ce n’est pas pour rien si la presse américaine la surnomme « Her Deepness » (« Sa Profondeur » en français). L’Américaine Sylvia Earle, pionnière de la découverte des fonds marins, a mené près de 700 missions scientifiques à travers le monde et passé plus de 7000 heures sous l'eau. À travers ses expéditions, elle a rapidement pris conscience de l’impact destructeur des activités humaines sur l’environnement, et particulièrement sur les océans. Aujourd’hui âgée de 86 ans, elle continue de consacrer sa vie à les protéger.
©Amos Nachoum
La naissance d’une vocation
Née en 1935, Sylvia Earle a grandi dans une petite ferme du New Jersey avant de déménager à ses 12 ans en Floride, près du Golfe du Mexique. C’est là qu’elle tombe amoureuse de l’océan. Un paradis naturel incroyable et plein de vie. Elle se passionne pour sa faune et sa flore, au point qu’elle choisira de faire un mémoire sur les algues locales à la fin de ses études.
Inspirée par des explorateurs comme William Beebe et Jacques Cousteau, elle s’inscrit à un cours de biologie marine en 1953 et réalise l’un de ses rêves : celui de plonger sous l’eau pour la première fois. Depuis, cette passion pour le monde marin ne l’a plus jamais quittée. À 31 ans, elle obtient son doctorat en botanique et devient chercheuse à Harvard.
Féministe pour la science
Sylvia Earle a toujours refusé de sacrifier sa passion pour se contenter de suivre le rôle attribué aux femmes des années 50-60 : celui de la maîtresse de maison. En 1964, elle accepte de participer à l’expédition internationale dans l'océan Indien visant à explorer des eaux jusqu’alors inconnues. Pendant plusieurs semaines, elle se retrouve seule parmi 70 hommes, loin de ses enfants et de son mari.
Quelques années plus tard, la « Jeanne d’Arc des océans », comme la surnomme le cinéaste James Cameron, dirige la première équipe d’exploration sous-marine exclusivement féminine. Pendant deux semaines, elles vivent à cinq dans un petit habitat sous-marin, à 15 mètres de profondeur, pour tester les effets de l’immersion prolongée sur la santé.
Aujourd’hui, elle détient le record de descente avec bouteilles à 381 mètres sous la surface de l’océan Pacifique. Ses exploits et ses actions lui ont valu plus d’une centaine de titres. À 63 ans, elle a par exemple été la première « Hero of the Planet » nommée par le Time Magazine pour son combat pour la protection des océans.
« No ocean, no life. No ocean, no us. »
Pionnière de la protection des fonds marins
Les océans sont l’un des deux poumons de la planète. Ils produisent près de la moitié de l’oxygène que nous respirons. Sans compter que ce sont des puits de carbone : ils absorbent près de 30 % des émissions mondiales de CO2. Ils sont donc indispensables à la lutte contre le réchauffement climatique.
Ça, Sylvia Earle l’a vite compris. Au fil de ses plongées, elle a observé impuissante les écosystèmes marins se dégrader. Forages pétroliers, tests nucléaires, surpêche, pollution chimique et plastique… Nombreuses sont les activités humaines qui les ont progressivement détruits.
Elle fonde alors son association Mission Blue avec la vocation de sauvegarder les « hope spots », ces « zones d’espoir » identifiées scientifiquement comme essentielles à la santé de l’océan. Elles sont protégées de la pêche ou du forage. L’un des engagements du One Ocean Summit, qui s’est tenu à Brest en février, est de développer plus d’aires écologiques de ce type. Une mesure nécessaire quand on sait que « moins de 10% des océans sont protégés ».
Et Sylvia Earle le soutient dans le documentaire Netflix de 2014, Mission Blue : « L’océan est notre vie, si nous ne changeons pas nos habitudes, nous aurons de gros problèmes ».
Big, brightly colored sea anemones are common off the coast of British Columbia, including the Salish Sea Hope Spot! #HopeSpots
— Mission Blue (@MissionBlue) February 23, 2022
Photo by @cmittermeier @Sea_Legacy pic.twitter.com/zXL0hEGNgT
De l’espoir pour nos océans
« Notre existence dépend de la santé des océans, qui ont mis très longtemps à façonner la planète dans un sens qui nous est favorable. Il nous a fallu peu de temps pour perturber ces systèmes fondamentaux, mais il n'est pas trop tard pour inverser la tendance » assure Sylvia Earle sur son compte Twitter.
L’océanographe est convaincue que chacun.e d’entre-nous pouvons encore jouer un rôle pour changer les choses. Des actions individuelles qui doivent être soutenues par les gouvernements si on veut espérer voir de vrais changements à l’échelle du monde.
En décembre 2021, le Costa Rica a décidé d’étendre la réserve nationale de l’île Cocos, « un grand pas pour la sauvegarde de 30 % des océans d'ici 2030 » se réjouit la chercheuse. Plus récemment, l’Équateur a décidé d’étendre sa zone protégée de la réserve marine des Galápagos. Toutes les activités nuisibles à la faune et à la flore, comme la pêche, y sont désormais interdites.
À 86 ans, Sylvia Earle continue de parcourir le monde pour partager son savoir et son amour de la vie marine. À travers son parcours et ses actions, la scientifique est devenue inspiration pour celles et ceux qui font de la protection des océans et de l'environnement une priorité. Qui saura prendre le relai, après elle ?