

La "5e limite planétaire" a été atteinte : qu’est-ce que cela signifie ?
Des scientifiques ont montré que l’humanité avait dépassé une nouvelle limite planétaire, celle de la pollution chimique. Pesticides, antibiotiques, plastiques… ces « nouvelles entités » perturbent l’équilibre de notre écosystème et pourraient le modifier à jamais si aucune mesure n’est prise. On vous explique la situation.
2022 M02 14
Alors que le One Ocean Summit s’est tenu à Brest du 9 au 11 février dernier, plusieurs engagements ont été pris pour la sauvegarde des océans. Lutter contre la surpêche et la pêche illicite, protéger la haute mer, cartographier les fonds marins, créer plus d’aires protégées, lancer une coalition pour le « carbone bleu », mais aussi en finir avec la pollution plastique.
Une promesse qui résonne particulièrement un mois après l’étude menée par des scientifiques du Stockholm Resilience Center sur la cinquième limite planétaire qui a été franchie. Publiée le 18 janvier dans la revue scientifique Environmental Science and Technology, elle nous apprend que nous avons dépassé le seuil acceptable de pollution chimique et plastique pour le maintien de nos écosystèmes.

Cinq limites planétaires sur neuf ont déjà été franchies
Ce concept de limites planétaires a été développé en 2009 par une équipe internationale pluridisciplinaire de recherche. Ils ont identifié neuf « planetary boundaries » qui régulent la stabilité de la planète et qui garantissent un environnement sûr au développement de l’humanité. Si ces seuils sont dépassés, cet équilibre est dangereusement mis à mal et les conditions de l’existence de nos sociétés ne peuvent plus être garanties.
En 2015, ils précisent ces processus biophysiques qui composent le « système Terre » et jugent que quatre d’entre eux ont d'ores et déjà été excédés : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, et les changements d'utilisation des sols.
Restaient alors les limites qui n’avaient pas encore été atteintes : l’acidification des océans, l’appauvrissement de la couche d’ozone, l’utilisation mondiale de l’eau douce, l'augmentation des aérosols dans l'atmosphère et l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère (ou pollution chimique). C’est cette dernière, qui n’avait jusqu’alors pas été évaluée, qui sonne aujourd’hui le signal d’alarme en dépassant le seuil acceptable pour l’humanité.

Les 9 limites planétaires selon le Stockholm Resilience Center.
Des « entités nouvelles » en constante progression
Pesticides, médicaments, métaux lourds, composés industriels, tissus synthétiques, mais aussi matières plastiques, « on estime à 350.000 le nombre de produits chimiques (ou de mélanges de produits chimiques) présents sur le marché mondial » explique l’étude. Nous avons introduit tellement de ces substances dans l’environnement que nous ne sommes plus vraiment capables de les mesurer. Et comme nous continuons à les produire en masse, il est quasi-impossible de limiter leur impact.
« L'industrie chimique est la deuxième plus grande industrie manufacturière au monde. La production mondiale a été multipliée par 50 depuis 1950 et devrait encore tripler d'ici 2050 par rapport à 2010 » lit-on dans l’article. Le plastique emprunte le même chemin puisque c’est le troisième matériau le plus produit au monde, « sa production mondiale ayant augmenté de 79 % entre 2000 et 2015 ». Elle devrait également tripler d’ici les années 50 « pour atteindre 33 milliards de tonnes » expliquent les auteur.e.s.
Agir avant qu'il ne soit trop tard
Une tendance qu’il est aujourd’hui urgent d’inverser pour espérer limiter les dégâts irréversibles sur nos écosystèmes. Les scientifiques insistent sur notre incapacité à lutter efficacement contre cette pollution plastique au vu de la quantité de déchets générés. « La masse totale des plastiques sur la planète dépasse désormais la masse de tous les mammifères vivants » expliquait la professeure Bethanie Carney Almroth, l’une des autrices de l’étude, au Guardian.
« Pour moi, c'est une indication assez claire que nous avons franchi une limite » ajoutait-elle. « En gros, on meurt étouffés de nos produits chimiques et plastiques » concluait Olivier Fontan, l’ancien directeur du Haut Conseil pour le Climat, sur Twitter.
Les "nouvelles entités" - créées ou introduites par les Humains - dépasseraient les niveaux d'alerte planétaires.
— Olivier Fontan (@olivier_fontan) January 18, 2022
En gros, on meurt étouffés de nos produits chimiques et #plastiques https://t.co/8FEqiALx5J
Est-il possible de faire marche arrière ?
En très peu de temps, nous avons réussi à profondément bouleverser l’écosystème de la planète qui était resté globalement stable depuis le début de l’Holocène, il y a plus de 10.000 ans. Les différentes actions humaines l’ont dégradé et il pourrait totalement changer si ces neuf processus venaient à être dépassés.
Le constat actuel est donc alarmant : cette cinquième limite très largement dépassée, la sixième qui sera sans doute vite atteinte avec l’acidification des océans, sans compter que l'augmentation des aérosols dans l'atmosphère n’a pas encore été évaluée et le seuil a probablement déjà été franchi. Et maintenant, on fait quoi ? « Nous sommes dans le pétrin, mais il y a des choses que nous pouvons faire pour inverser la tendance » assurait la professeure Bethanie Carney Almroth.
Les auteur.e.s de l’étude appellent à mettre en place des actions drastiques rapidement. « Les mesures visant à réduire les rejets et les émissions de nouvelles entités dans l’environnement sont essentielles ». Ils insistent sur l’importance de passer à une économie circulaire, de repenser la fabrication en vue du recyclage pour éviter le gaspillage, et d’utiliser des produits chimiques « sûrs et durables ». Pour discuter de ces solutions, le Stockholm Resilience Center prévoit un séminaire en ligne le mardi 15 février.