140 ans après, voici la longue histoire du vibromasseur

Si l'on considère aujourd'hui le sextoy comme un objet dédié au plaisir, son invention en 1883 par un docteur britannique n'a rien, mais alors rien à voir avec la notion d'orgasme. Et surtout pas celui des femmes.
  • Il est impossible de dater précisément l’invention du sextoy. Un problème qui ouvre la porte à tous les fantasmes : les Égyptiens en avaient ; les gens au Moyen-âge taillaient des pierres pour se créer eux-mêmes des godemichets ; Cléopâtre a inventé le sextoy. Bon, ce que l’on sait, c’est que l’on peut observer des godemichets sur des gravures japonaises — appelées « shunga » — durant la période Edo, allant de 1603 à 1868.

    Mais là où les choses deviennent sérieuses, c’est au 19e siècle. L’inventeur officiel du vibromasseur est un médecin anglais, le docteur Joseph Mortimer Granville, en 1883. Joseph lui donne même un petit nom sympathique : le « Granville's hammer », soit le « marteau de Granville ». Sauf que le médecin ne l’a pas du tout inventé pour le plaisir féminin, ni même pour les femmes d’ailleurs. Cet objet a en réalité été créé pour traiter... les douleurs musculaires des hommes. Selon lui, les vibrations iraient jusqu’au système nerveux et stimuleraient les nerfs malades. De surcroît, son invention s’apparente plus à une machine à vapeur — ou à un objet de torture — qu’à un objet intime que l’on garde soigneusement dans un tiroir. 

    Le mythe du vibromasseur pour soigner l'hystérie féminine

    Cependant, quand on tape le nom de Joseph Mortimer Granville dans un moteur de recherche, on tombe sur des articles qui expliquent que le vibromasseur a été créé pour traiter les femmes qui souffraient « d’hystérie ». Cette croyance, comme l’explique cet article ici, a une origine : l’ouvrage The Technology of Orgasm publié en 1999 par l’historienne Rachel Maines. Dans son livre, elle explique que les vibromasseurs permettaient aux médecins de faire des massages de la vulve et du clitoris pour traiter « l’hystérie féminine ». Ces objets mécaniques étaient, selon elle, plus efficaces que les massages manuels effectués par les docteurs à l’époque, car oui dans l’ère victorienne les femmes allaient chez le médecin se faire masser le vagin pour se soigner de certains maux. Ils permettaient aussi aux docteurs de soigner plus rapidement les patientes, et donc de gagner, in fine, plus d’argent. Une croyance qui s’est frayé un chemin au théâtre — avec la pièce In the Next Room (or The Vibrator Play) de Sarah Ruhl (2009) — et dans le film Oh My God! en 2011. Le problème ? Rachel Maines aurait pris quelques libertés avec la réalité.

    Selon Hallie Lieberman, autrice du livre Buzz: The Stimulating History of the Sex Toy, et Eric Schatzberg, directeur de l'école d'histoire et de sociologie de Georgia Tech, il existe en réalité peu de preuves scientifiques de ces expérimentations. Voire aucune de vraiment fiable.

    « Nous n'avons trouvé aucune preuve que des médecins aient utilisé des vibrateurs électromécaniques pour provoquer des orgasmes chez des patientes dans le cadre d'un traitement médical », peut-on lire dans un article scientifique publié en 2018.

    Selon ces recherches, l’objet pouvait cependant servir à traiter les crampes menstruelles, avant ou après les règles.

    « Nous avons également examiné d'autres preuves de l'époque qui contredisent des aspects clé de l'argumentation de Rachel Maines. Ces preuves montrent que les vibromasseurs étaient pénétrants et que le massage manuel des organes génitaux féminins n'a jamais été un traitement médical de l’hystérie. »

    Le vibromasseur : traitement placebo ?

    Si pour les hommes, les sextoys qui reproduisent le vagin d’une femme existent déjà, les vibromasseurs dédiés au plaisir féminin arrivent plus tard. Au départ, au début du 20e siècle, l’arrivée de l’électricité dans les foyers ouvre la porte à un tas de nouveaux objets, souvent ménagers — aspirateurs, batteurs, etc. Le vibromasseur est alors vendu comme un accessoire pour la maison (et non pour le plaisir féminin) qui peut soulager les petits bobos de toute la famille, comme les pieds douloureux, les problèmes de dos, les coliques des bébés ou encore soulager la pression du sinus, comme le raconte la chercheuse Kim Adams dans cet article publié sur The Conversation.

    « Les vibromasseurs n'étaient pas des traitements médicaux standard, mais du charlatanisme médical, une médecine alternative qui ne tenait pas ses promesses. Pourtant, ces remèdes électriques se sont vendus par millions », écrit la chercheuse. 

    Le sextoy prend son pied dans les années 1970

    Pour que le vibromasseur prenne son rôle de sextoy, les femmes auront dû être patientes. Il y a d’abord eu l’utilisation ménagère. Puis la révolution sexuelle, notamment aux États-Unis, avec une libération des corps qui n’a pas facilité l’essor du sextoy. Mais dans les années 1970 et 1980, cet outil devient le symbole d’une révolution sexuelle pour les femmes, qui se mettent à l’utiliser uniquement pour atteindre un ou plusieurs orgasmes, façon pour elles de se détacher du patriarcat. En 1983, la société Vibratex lance sur le marché le « Rabbit », un godemichet en forme de lapin qui génère, pour la première fois, une stimulation interne et externe. L’objet devient ultra populaire quelques années plus tard grâce à un épisode de la série Sex & The City en 1998. À ce moment-là, le sextoy se transforme en objet pop. Les ventes s’envolent, les célébrités en parlent ouvertement et des millions de femmes à travers le monde découvrent aussi leurs corps et leurs sexualités grâce aux vibromasseurs.

    Le succès récent du Womanizer, sextoy inventé en 2014 par un couple allemand qui utilise une stimulation par air pulsé combinant le massage et l’aspiration, ainsi que les nouveaux modes de vie (meilleure compréhension et acceptation du plaisir féminin, relations sexuelles qui ne sont plus centrées sur la pénétration) aident aussi à la démocratisation du sextoy. Un objet qui, contrairement au Womanizer, aura mis du temps à trouver le bon spot.

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