2022 M05 30
On pourrait réciter les éléments de promo comme on récite une poésie, d’une manière mécanique — 160 points d’eau, 100% d'énergies renouvelables, 5000 gourdes distribuées, interdiction du plastique, toilettes sèches, pas de vaisselle unique, etc. Mais We Love Green, qui aura lieu du 2 au 5 juin prochain à Vincennes (94), n’est pas un événement « bobo » qui joue sur l’aspect écologique pour attirer les curieux. Né en 2011 en s’inspirant des copains britanniques et danois, le festival avait dès le départ une grosse motivation : changer la manière dont on conçoit, dans sa globalité, un festival de musique. Programmation, nourriture, énergies, conférences… La page était presque blanche, et il ne restait plus qu’à l’écrire. Comment s’est créé We Love Green, quels sont les enjeux et comment envisager le futur ? Réponses avec Marie Sabot, la patronne du festival parisien.
Comment se sont passés vos premiers pas dans le secteur musical ?
Je suis rentrée en stage à l'Elysée Montmartre chez Garance Production au début des années 90 et j'y suis restée deux ans. J'ai vite compris les réseaux, qui se construisaient à l'époque, du rock alternatif et des musiques indépendantes. J'ai aussi vite compris que ce sont des métiers, ceux du live, où tu ne gagnais pas d'argent — quand on remplissait l'Elysée Montmatre, on gagnait 1500 francs. On était des artisans, des passionnés et on l'est toujours aujourd'hui. Bref, même s'il y a plein d'inconvénients à faire ce métier-là, j'avais le profil pour gérer l'aspect live de la musique.
👾 WE LOVE GREEN 👾
— We Love Green J-23 (@WeLoveGreen) May 7, 2022
🚀 2, 4 & 5 JUIN 2022
3 jours de concerts, de rencontres et d’explorations. Le nouveau monde se rêve en musiques 🎶
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Qu'est-ce qui vous a motivé à créer We Love Green en 2011 ?
Entre mes débuts en 1992 et 2011, il se passe pas mal de temps. Entre les deux, le gros sujet pour moi a été la musique électronique. C'est un mouvement musical que j'ai défendu, soutenu et mis en scène. On faisait des événements qui s'appelaient « We Love » dans des lieux insolites (à l’Aquaboulevard, au Louvre, au Grand Palais, etc.). Grâce à ces expériences, on se sentait prêt à monter des festivals, avec, en tête, cette culture de l'éphémère : on vient, on monte un événement et on repart. On a voulu changer de façon de faire, en étant le plus moderne possible dans la programmation, mais aussi dans la production, ce qui veut dire être éco-responsable. Pour ça, on a beaucoup voyagé en France mais aussi à l'étranger, notamment en Angleterre où les festivals sont bien plus en avance que nous.
Quels sont les engagements historiques de We Love Green ?
Les principaux, ce sont l'énergie, la valorisation des déchets, la traçabilité de la nourriture et le transport des festivaliers et des artistes. Ça ne veut pas dire qu'on trouve des solutions pour tout, mais on se questionne et on sait où on en est. Et tous les jours, il y a des succès et des échecs. Là par exemple, on réalise des analyses d'impact avec la LPO, la ligue pour la protection des oiseaux, pour savoir si les oiseaux s'en vont avant et après le festival. L'énergie, c'est aussi le cœur de notre système. Cette année, on a créé une ferme énergétique avec 100 mètres de panneaux solaires. On teste aussi le plus gros groupe électrogène à hydrogène vert pour voir comment il résiste. Et aussi trois biocarburants différents. Nous, ça fait 10 ans qu’on teste des choses, et on peut en parler. Il y a beaucoup de festivals qui ne savent pas combien ils consomment : ils commandent des groupes électrogènes diesel, mais ils ne font pas d’analyses sur ces sujets-là.
« Environ 78% des festivaliers viennent en transport en commun. »
Quelles sont les initiatives mises en place qui ont perdurées ?
Le plus gros impact carbone, c'est le transport des festivaliers. On a décidé d'être dès le départ un festival sans parking. Environ 78% des festivaliers viennent en transport en commun. On a réussi à composter nos déchets et notre vaisselle alimentaire et même à la normer, c'est-à-dire que ce compost devient une vraie ressource.
Niveau nourriture, comme les festivals engagent les mêmes prestataires, on retrouvait souvent les mêmes plats. Nous, on a demandé à des restaurateurs locaux de venir sur place. En plus, on a élaboré une charte pour vérifier d'où viennent les produits, la viande, de quel abattoir, etc. Aussi, on forme les restaurateurs pour leur expliquer comment on s'organise, comment se déroule la tournée des camions frigorifiques qu'ils partagent entre restaurateurs durant le festival — il y a en 6 au lieu d'en avoir 60. En fait, le développement durable ce n'est pas révolutionnaire, c'est de l'organisation et de la planification. Louer, acheter, jeter, c'est simple. Mais chercher, recycler, c'est du travail.
Est-ce qu’il y a des choses que vous avez envie de tester pour les prochaines années ?
J'aimerais arriver à avoir une centrale d'achat, comme à Roskilde au Danemark qui accueille 125 000 festivaliers par jour. Là-bas, ils prévoient en septembre ce qu'ils vont manger en juin de l'année suivante. Dès lors, avec les restaurateurs, ils peuvent élaborer une charte en disant quels produits ils veulent, et donc avoir un impact sur le territoire. Ils peuvent dire : « J'achèterai des produits chez vous que si vous respectez nos engagements, que ce soit au niveau social (le prix des salaires des ouvriers agricoles par exemple) mais aussi sur les pesticides ». Il faut prévoir tout avant les semences à la fin de l'été aussi : il faut donc s'y prendre vraiment en amont. Mais notre monde n'est plus dans la planification, mais dans la réaction. Bref, on réfléchit à créer quelque chose de similaire ici, peut-être avec Terroirs d'Avenir, qui est un réseau colossal d'agriculture paysanne.
Le public est sensible à l’éthique de We Love Green ?
Les jeunes sont engagés sur le plan écologique, c'est certain. Mais c'est la programmation qui prime. Et comme les budgets ont augmenté de 40% sur certains groupes d'une année sur l'autre, si on n’arrive pas à tenir financièrement tout en ayant les artistes qui nous semblent les plus adaptés au festival, on est fragilisé.
Est-ce qu'il y a des artistes qui préfèrent venir à We Love Green parce que le festival est engagé, au-delà de l'aspect financier ?
Assez peu, et ça ne va pas en s'arrangeant. Ce qui prime pour eux, et je le comprends, ce sont les profits générés par leur tournée. Et en sortie de pandémie, le plus important pour eux, ça reste le budget. J'ai perdu pas mal d'artistes cette année sur cette problématique-là. En même temps, certains artistes qui viennent à We Love Green ont fait des efforts intéressants. On se pose fatalement des questions : est-ce qu'on doit devenir un festival plus petit ? Faut-il demander plus d'efforts de la part des artistes ? On se questionne.
Un dernier point sur la programmation, que doit-elle avoir pour refléter l’ADN du festival ?
Elle doit être très large. Ce qui est important, c'est que de publics différents se rencontrent. C'est pourquoi on va chercher des artistes de niche comme Rema, Shygirl, Amaarae. On a des artistes assez jeunes (et quelques têtes d'affiche historiques) mais surtout, on ne veut pas affirmer un style musical en particulier. Cette année, il y aura aussi de l'humour avec Fary qui vient avec un nouveau spectacle. Après deux ans de pandémie, chacun est dans son algorithme et dans son monde. Mais dans un vrai festival, il n'y a plus d'algorithme.
Crédits photos : @Romain Bassenne @Julien Mignot @Maxime Chermat