Fiona Rogers : "les femmes ont toujours joué un rôle crucial dans la photographie"

Fiona Rogers est la curatrice de la Parasol Foundation Women in Photography au Victoria & Albert Museum de Londres. Pour l'édition 2023 de la foire internationale Paris Photo, l'Anglaise a été choisie pour faire la curation du parcours Elles x Paris Photo, un programme qui met en lumière les œuvres d'artistes féminines pour prouver leur importance dans la photographie. Interview sans clichés.
  • Pour résumer rapidement, Paris x Elles Photo, qu'est-ce que c'est ?

    Fiona Rogers : C'est un parcours, au sein de la foire internationale dédiée à la photographie Paris Photo, qui regroupe 38 artistes, mais je vois plus ça comme une chasse aux trésors. Ce programme, soutenu par le ministère de la Culture, est là pour mettre en valeur le travail des artistes féminines dans la photographie et pour mettre en avant des sujets de société comme l'égalité homme/femme.

    Quelle est la thématique principale de cette édition 2023 ?

    Les artistes sélectionnées pour ce parcours ont toutes des approches différentes qui permettent de redéfinir ce qu'est la photographie. Durant très longtemps, la photographie a permis de montrer le monde en utilisant l'autre comme sujet. Ici, le fil rouge du parcours est le sujet de la femme, et comment ces artistes utilisent leur art pour aborder cette thématique, mais aussi pour raconter leurs propres histoires au lieu de raconter celles des autres. Par exemple, certaines artistes utilisent l'autoportrait ou le collage afin d'aborder des sujets comme la migration, l'identité queer, le racisme, etc. Elles abordent des sujets politiques en utilisant leur corps et leur personne comme support.
    En termes de curation, j'apprécie l'aspect politique de l'art. C'est aussi pour cette raison que j'ai suivi cette direction, surtout avec ce qui se passe en ce moment comme le droit des femmes en Iran ou les questions liées à l'avortement aux États-Unis. De nombreuses artistes répondent à ces problèmes à travers l'art. Et ça vient des artistes des années 60 ou 70 qui utilisaient leurs corps pour provoquer et faire changer les mentalités sur la place des femmes dans la société ou sur la manière dont elles devaient se comporter.

     

    Il y a un mélange avec des anciennes artistes et d'autres contemporaines. Pourquoi ce choix ?

    Quand on traite de la thématique femme-homme et qu'on essaie de montrer les inégalités dans le milieu de l'art, je pense qu'il est important de revenir en arrière pour montrer que les femmes ont toujours joué un rôle crucial dans la photographie. C'est juste que leurs œuvres ne sont pas celles que l'on connaît le mieux. Pour cette année, on voulait donc mettre en avant la contribution des femmes dans l'histoire de la photographie comme avoir un œil sur l’avenir.

    Pouvez-vous nous parler de quelques artistes ?

    Le travail de Frida Orupabo, une artiste norvégienne-nigériane, est très intéressant. Il y a quelque chose de physique dans ses œuvres, elle coupe des images d'archives, et ça donne l'impression qu'elle le fait pour extraire le corps des femmes noires d'un vieil esprit colonial. Il y a aussi Annegret Soltau qui utilise son corps nu et la mutilation pour parler de la beauté et du regard des autres sur son corps. Plusieurs artistes utilisent la technique du collage, notamment Sarah Sense et Grete Stern, et pendant longtemps on a considéré que cette forme d'art était réservée aux femmes. Mais ces artistes rendent le collage plus punk et plus subversif.

    À votre avis, comment tendre vers plus d'égalité dans le monde la photographie ?

    Déjà, j'aimerais vivre dans un monde où cette initiative, qui est là pour mettre en lumière le travail des artistes féminines, n'existe pas. Mais les statistiques parlent d'elles-mêmes. Dans notre collection, qui comporte plus de 800 000 œuvres, on estime que seulement 15% appartiennent à des femmes. Si nous, on possède un chiffre si bas, ce n'est pas étonnant que les galeries commerciales mettent moins en valeur le travail des femmes. Donc ce programme Elles x Paris Photo, qui existe depuis 2018, est encore nécessaire pour monter les écarts. Et les personnes racisées sont encore moins représentées...
    Donc notre travail n'est pas fini et surtout, on se doit de se questionner sur nos choix : pourquoi on met tel artiste en avant ? Pourquoi on lui donne de la visibilité ? Est-ce qu'il faut encore donner une grande place à un énième photographe masculin blanc alors que d'autres artistes similaires peuvent apporter une autre perspective sur le même sujet ? Nous avons une responsabilité, celle de donner de la visibilité à des artistes trop longtemps reléguées au second plan.

    La foire internationale Paris Photo aura lieu du 9 au 12 novembre 2023 au Grand Palais Éphémère (Paris). Toutes les informations par ici.
    Crédit photo : © Alys Tomlinson

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