À Calais : une journée avec Utopia 56 qui vient en aide aux exilé.es
Malgré le démantèlement de la Jungle de Calais en 2016, les exilé.es sont toujours nombreux à transiter par Calais, lieu de passage vers l’Angleterre. Fort heureusement, les associations leur venant en aide n’ont pas quitté les lieux et font de Calais l’une des plus grandes plateformes humanitaires de l’Europe. Nous avons rencontré l’une d’entre elles : Utopia 56. Récit d’une journée à suivre les actions de ces super-héros du quotidien.
2021 M04 1
« Ce qu’on voit ici, ce sont les mêmes choses qu’on peut voir dans des camps en Grèce, en Libye ou en Birmanie. » nous affirme Arnaud, coordinateur d’Utopia 56 Grande Synthe. Le ton est donné. Il est un peu plus de 10h lorsque nous le rencontrons à la guest house, une grande maison où loge une partie des bénévoles de l’antenne d’Utopia 56 à Grande-Synthe.
Une fois les présentations et la visite des lieux faites, il nous dresse un état des lieux de la situation migratoire. Plusieurs centaines de personnes exilées, des familles avec des enfants, des personnes isolées et des mineurs, (sur)vivent à Calais et Grande-Synthe. La plupart d'entre elles souhaitent rallier l'Angleterre que ce soit pour des raisons familiales, politiques, personnelles ou simplement parce que ces personnes ont peut-être été dublinées, soit l'impossibilité pour une personne exilée de demander l'asile en France. « Aujourd'hui, la seule mise à l'abri qu'on leur propose est inadaptée. » Accès à l’eau restreint, accès aux soins mis en péril par la dispersion des campements dans les bois, emprise des passeurs et harcèlement policier constant… Son téléphone jamais très loin, la tension, sur son visage, visible, Arnaud prend tout de même le temps de nous raconter, face caméra, l’histoire et les actions d’Utopia 56. Maraude en journée, en soirée et pendant la nuit, distribution d’urgence pour les nouveaux arrivés, accompagnement des mineurs, équipe de transport à l’hôpital,… « Utopia 56 est une association de mobilisation citoyenne qui s’est donnée pour mission d’aider les personnes exilées ainsi que les personnes à la rue. »
« On n’est pas une association de distribution. On est là pour faire de la réponse d’urgence. » complète Louce, bénévole à l’antenne calaisienne d'Utopia 56. C’est l’heure du déjeuner lorsque nous la suivons à travers les allées de la warehouse, entrepôt régit par l’Auberge des Migrants.
Ici, les associations, qui interviennent à Calais, se coordonnent, échangent et travaillent main dans la main. Un lieu rempli de vie qui contraste avec l’austérité des environs. Pendant que les bénévoles de Refugee Community Kitchen préparent un repas pour les exilé.es, les bûcherons de Calais Woodyard découpent le bois qui alimentera leur foyer. Certains bénévoles déjeunent, sourire aux lèvres. La plupart sont jeunes, originaires de différents pays européens. Ils semblent habitués aux caméras, ce que nous confirmera Louce. Les médias débarquent fréquemment, pour beaucoup en quête d’images sensationnalistes. C'est d'ailleurs la mise en garde qu’elle nous fera lorsque, quelques heures plus tard, nous arrivons à un campement d’Erythréens « Ne sortez pas la caméra tout de suite, on préfère d’abord tâter le terrain, puis si on le sent, vous pourrez l’amener. »
On appelle ce campement BMX, il rassemble une communauté érythréenne, prête à partir pour l’Angleterre. Accompagnés de Louce et d’Antoinette, également bénévole, nous allons à leur rencontre. Ces derniers nous invitent chaleureusement à boire le thé. L’occasion d’échanger quelques mots et quelques sourires. L’un deux, nous apprend qu’il vit à Calais depuis 8 mois. Quelques plaisanteries fusent lorsqu'il nous révèle être un influenceur Tik Tok. Ses camarades le vannent, nos rires se mêlent aux leurs.
Sur le chemin du retour, Louce nous confiera « Les partages qu’on peut avoir avec les gars sont hyper riches. Ils ont le même âge que nous, on a plein de points communs… Ce sont nos potes. » À Calais, le contexte de grande précarité matérielle (confiscation régulière des biens personnels par la police) rend d’autant plus important la nécessité de (re)créer une relation avec les exilé.es. La création et le maintien de ce lien social est un travail de tous les jours. Les bénévoles prennent le temps d’écouter et respecter les histoires et projets de vie de chaque exilé.e et tentent d’y apporter une réponse un peu plus humaine que celles de la justice ou de l'administration.
La nuit est tombée quand nous retrouvons Pauline et Louise dans le centre-ville de Calais. Toutes deux membres de l'association, elles nous accueillent chaleureusement dans ce qui sera notre véhicule pour la nuit. Un Trafic blanc débordant de biens de première nécessité : kits naufrages et hygiènes, chaufferettes, thermos de café,… « Ce soir on va en MAB (mise à l’abri) de nuit. » Au gré des appels reçus sur la ligne d’urgence Utopia, nous traversons les rues calaisiennes à la recherche de mineurs et nouveaux arrivants. C’est une nuit d’hiver, froide, la plupart des exilés croisant notre route sont frigorifiés et exténués mais Louise et Pauline parviennent tout de même à leur décrocher un sourire et parfois même un rire. « Même si la situation n’évolue pas vraiment […] ce qui est bien c’est de pouvoir changer des petites choses, un peu tous les jours. » nous confie Pauline. C’est bien le constat partagé par tous les bénévoles que nous avons rencontrés. Un sentiment d’impuissance face à une situation qui, depuis de nombreuses années, reste inchangée. Mais aussi, cette envie de contribuer à donner un autre regard sur la situation migratoire, plus humain et empreint de bienveillance. Sans oublier cette motivation sans faille, véritable carburant de leurs actions, qui les pousse à aider chaque jour sans attendre quoi que ce soit en retour.
En 2020, Utopia 56 Grande-Synthe et Calais ont distribué 4 000 tentes et 25 000 couvertures. L’association a réuni environ 250 bénévoles sur l’ensemble de l’année et a toujours besoin de bras et de dons pour continuer à remplir ses missions. Pour les soutenir c’est ici et si vous souhaitez les rejoindre c’est là.
Guesthouse : maison des bénévoles.
Handwarmer : chaufferettes mains.
Dubliner : action de renvoyer, en application de la convention de Dublin ou d'un règlement de Dublin, un demandeur d'asile dans un pays européen par lequel il a transité.