Militer par le plaisir, une question de survie

Et si nous reprenions le contrôle sur nos corps et nos désirs ? Et si nous concentrions nos actions sur ce qui nous fait du bien ? Sur ce qui nous satisfait pleinement ? C’est en quelques mots ce qui définit « l’activisme par le plaisir », concept développé par Adrienne Maree Brown dans son livre "Pleasure Activism: The Politics of Feeling Good", best-seller sorti en 2019 aux États-Unis.

Dans un monde qui reconnaît l’ampleur des mouvements Me Too et Black Lives Matter, le livre d’Adrienne Maree Brown a trouvé un large écho aux Etats-Unis. Elle qui s’identifie selon ses propres mots « femme avec de l’homme en elle », « d’un père noir et d’une mère blanche », « pansexuelle » et « queer » s’inscrit notamment dans la droite ligne d’Audre Lorde. Cette poétesse militante féministe lesbienne afro-descendante américaine du XXe siècle est l’autrice de The Uses of Erotic: The erotic as power, soit le fait de concevoir l’érotisme comme un pouvoir.

« Audre Lorde est une référence, explique-t-elle au cours de notre conversation WhatsApp. Elle a dessiné les contours d’une vie pleinement vécue et dirigée par le plaisir. L’idée est de se réapproprier le droit au plaisir pour les personnes opprimées et marginalisées, de dire que celui-ci n’appartient pas qu’aux personnes au pouvoir. Tous les corps sont équipés pour ressentir du plaisir. »

Dans le livre d’Adrienne Maree Brown, composé de plusieurs voix et de plusieurs formes de textes (aussi bien des poèmes, des entretiens ou des essais), deux grands plaisirs sont mis en avant : le sexe et les drogues. Mais, dit-elle, « il pourrait y en avoir plus : la nourriture, la mode, les arts, le fait d’être parent, l’amitié profonde, la musique, la lecture… » Selon elle, il y a du plaisir si on ressent du bonheur et de la satisfaction. Elle parle carrément d’un « oui orgasmique ».

« Tous les corps sont équipés pour ressentir du plaisir. »

À quoi ressemblerait la planète si on vivait nos plaisirs à leur maximum ?

Au départ, son livre s’adresse aux femmes noires, dans un contexte de libération. « J’écris pour les femmes noires parce que je n’ai cessé d’interagir avec des femmes noires qui n’avaient jamais entendu parler de fantasmes, de plaisir, de qui devrait toucher leur corps. Mais parce que nous sommes humaines, ça aura autant de sens pour n’importe qui d’autre. »

Parmi les nombreux conseils émis tout au long des pages, celui de la masturbation est central : un connais-toi toi-même corporel qui permet ensuite d’inscrire ses relations, amoureuses ou amicales, dans le consentement et la confiance. Pleasure Activism: The Politics of Feeling Good est une sorte de guide, un fourre-tout organisé pour éveiller sa sexualité et ses désirs. « Se prioriser en amour est une stratégie politique, écrit-elle. C’est de la survie. »

Suivant ce processus, si on va bien, le reste suivra. « Le mensonge est de dire que tu dois travailler tout le temps et qu’à la fin tu auras une retraite pour avoir quelques années pour te sentir bien. Je rejette cette idée. Tu peux expérimenter ce qui te fait du bien tout de suite et maintenant. » Le plaisir se retrouve alors dans les actions qui sont bonnes pour la Terre, la nature et les humains.

« Les activistes par le plaisir pensent qu’en tirant profit du potentiel de bonté en chacun et chacune de nous, nous pouvons générer de la justice et de la libération, produisant une richesse thérapeutique face à la croyance, construite socialement, que seuls le manque et l’insuffisance existent. »

Être d’une honnêteté radicale, guérir de ses traumas, méditer, tester ce qui dessine un « oui » sur ses lèvres, poser ses limites, s’entourer d’une communauté qui prend soin de soi, se satisfaire… Faites-vous plaisir, faites plaisir aux autres. Voici quelques-uns des outils pour rejoindre le mouvement de l’activisme par le plaisir.

Pleasure Activism: The Politics of Feeling Good, Adrienne Maree Brown (2019, AK Press) n’est pas encore traduit en français.

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