2021 M06 11
On peut considérer les fake news comme l’un des fléaux médiatiques majeurs de notre époque. Un mal du siècle, en quelque sorte. Elles ont directement ou indirectement influencé des décisions électorales et politiques majeures, créé des tensions entre les pays, déstabilisé des régions, mis en péril la circulation d’une information claire produite par des professionnels et contribué ainsi à faire augmenter la méfiance de la population générale vis-à-vis des journalistes.
Avec la multiplicité des informations arrivant en temps réel sur nos téléphones portables, il est en effet facile de se référer à une seule source par paresse et par sécurité, peu importe sa légitimité, quand on ne veut pas se perdre dans le flux incessant des nouvelles. Cette réaction somme toute normale nous pousse non seulement à rester dans une bulle d’informations dans lesquelles les news qu’on nous sert sont en adéquation avec nos croyances et systèmes de pensée (les algorithmes s’assurent que ce soit effectivement le cas), mais aussi où l’absence de filtres et de sourçage rend les nouvelles du monde impossibles à vérifier.
Multipliée par la toute-puissance d’Internet, qui a rendu toute personne sans formation capable de produire une vidéo ou un article pour partager ses idées sans se soucier des faits objectifs, cette situation a donné naissance à un réseau constant de faisceaux contradictoires. Non que les journalistes se doivent d’être objectifs en toutes circonstances, mais ils ont, a minima, les outils et le recul critique pour analyser, résumer, vérifier plusieurs fois l'information et présenter de manière posée leurs découvertes.
Le complotisme à la portée de tous, y compris des plus jeunes
C’est après l’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo, en janvier 2015, qu’une dizaine de journalistes bénévoles venus du monde de l’audiovisuel décide de créer dès l’année suivante une association loi 1901 appelée Fake OFF. "Certains d’entre nous travaillaient dans une agence de presse située dans les mêmes locaux, expliquent-ils sur leur site. Dans la foulée, un nombre très important de rumeurs et de fausses informations a fleuri sur le web et les réseaux sociaux : ‘Les attentats n’auraient pas vraiment eu lieu’, ‘Ils auraient été organisés par l’État Français’, ‘Les journalistes réfugiés sur le toit auraient été tenus au courant à l’avance".
Cette batterie de rumeurs persistantes est désormais devenue la suite "logique", après chaque événement dépassant l’entendement. Aux États-Unis, le complotisme a par exemple colonisé la plupart des tueries de masse. Face à des actes incompréhensibles (mais bien réels), des citoyens en colère préfèrent se tourner vers des explications farfelues pour éviter d’être confrontés à la violence du monde.
Aliens, manipulations des gouvernements, batailles politiques, franc-maçonnerie, Satan… Toutes les excuses sont bonnes pour jeter de l’huile sur le feu de la Toile, qui croule sous les vidéos YouTube et autres justifications originales dès qu’un événement atteint une certaine exposition médiatique. Des articles et posts de blog sont systématiquement écrits, des vidéos sont à coup sûr produites pour tromper le lectorat, qui y voit une porte de sortie facile. Ce qui aboutit, entre autres tragédies, à des descentes d’hommes armés dans des pizzerias croyant sauver des enfants d’un réseau pédophile orchestré par Hillary Clinton. Ou à une méfiance à des niveaux jamais vus face aux vaccins.
Contrer les "faits alternatifs", aberration idéologique
En France aussi, adultes et enfants sont confrontés chaque jour à des vérités dites "alternatives" (d’après la fameuse intervention de Kellyanne Conway, conseillère de l’ex-président Donald Trump, début 2017, face à un journaliste trop insistant). Une expression depuis entrée dans les mœurs.
"Choqués par les rumeurs mensongères, nous avons cherché à nous rassembler, dans le but de recréer du lien avec le grand public : l’aider à mieux repérer les fausses informations, à questionner ses certitudes et ses opinions, à identifier les sources fiables. En un mot : aiguiser son esprit critique." Car en première ligne de ces "faits alternatifs", qui sont en soi une aberration, on trouve les jeunes, que leur usage intensif d’Internet, particulièrement sur portable, rends perméables à toutes sortes de théories du complot et fake news déstabilisantes.
Une cinquantaine de professionnels des médias forment désormais le cœur de l’action de Fake OFF, qui intervient notamment dans les collèges et lycées, "mais également hors scolaire, comme dans les bibliothèques, les médiathèques, les associations, les mairies, les foyers, les centres sociaux, les structures pénitentiaires…" Si le collectif était au départ composé de journalistes uniquement audiovisuels, la télé étant en première ligne de la défiance du public envers les médias, des journalistes de presse écrite et de radio les ont rejoints depuis.
Des "consommacteurs" avertis
"Nous sommes très attachés à la pédagogie participative, qui met les jeunes et les adultes que nous accompagnons en position d’acteurs, tout au long de nos interventions. Nous commençons systématiquement par les interroger sur leurs habitudes en matière d’usage des médias et des réseaux sociaux, pour mieux comprendre leurs pratiques et partir de leurs sources pour les inviter à s’interroger, à mener l’enquête", expliquent les membres de l’association.
C’est la clé pour devenir un citoyen averti : savoir recouper les infos et ne pas prendre chaque lecture ou visionnage pour argent comptant. Tout en formulant des critiques compréhensibles contre les médias, les élèves apprennent ainsi à devenir des "consommacteurs" éclairés, une tendance forte venue du monde du commerce, mais qui peut tout aussi bien s’appliquer à la façon dont on approche un média pour en déceler sa source. "Chaque intervenant vient avec son vécu, sa vision du métier, sans prétendre avoir tout compris, ni détenir la ‘vérité universelle’", conclut le collectif. L’esprit critique, toujours.