2020 M10 28
Le monde de la basket, et plus largement celui de la mode, souffre de gros problèmes d’éthique. On sait que la fast-fashion pollue beaucoup et encourage le gaspillage. Et lorsqu’il existe des alternatives, elles sont rarement satisfaisantes. En effet, les entreprises produisant exclusivement des baskets durables et locales sont, malgré leur bonne volonté, gourmandes en production de matière première, aussi bio soient-elle. Quant aux grandes enseignes s’essayant aux modèles recyclés sur une infime partie de leurs collections, elles ne trompent personne.
De fait, les produits entièrement faits en matériaux recyclés ne sont pas légion. C’est pourquoi Zèta, une marque de sneakers fraîchement créée à Bordeaux par une jeune diplômée en marketing de 23 ans, se démarque clairement du lot. Des baskets bordelaises en déchets de la production vinicole ? Le storytelling est presque trop beau pour être vrai. Et pourtant...
Laure Babin, tout juste sortie de l’IAE Bordeaux, a créé Zèta il y a à peine un an, explosant les prédictions de sa campagne de financement participatif sur Ulule (qui vient de se clore). Elle est le résultat d’une vision entrepreneuriale précoce, qui coche toutes les cases de l’éco-responsabilité : « J’ai fait tous mes stages dans le domaine du textile ou de la chaussure, et ça m’a amenée à réfléchir aux problématiques environnementales et sociales de ces industries », explique-t-elle. « L’idée de créer une basket m’est venue rapidement, mais tout a d'abord commencé par une démarche zéro-déchet. Je ne voulais surtout pas devoir faire pousser, produire ou créer de nouvelles matières pour mes chaussures. Il a donc fallu revoir entièrement la chaîne de fabrication. »
Enthousiastes, des viticulteurs locaux l'ont contactée
Résidus de la production vinicole de la région de Milan pour la tige en cuir vegan, bouchons en liège recyclés pour la semelle intérieure, plastique repêché en mer Méditerranée et chutes de caoutchouc également recyclés pour la semelle extérieure… Les 8 composants sont tous zéro-déchet, pour un résultat bluffant, notamment au niveau d’une semelle mouchetée du plus bel effet. Esthétiquement, la sneaker rappelle un peu les Nike Air Force One ou les Nike Court avec leur semelle relativement épaisse. D’inspiration clairement tennis, on est plus proche d’une Adidas SC Premiere que d’une Stan Smith toute fine.
« Je déçois beaucoup de gens quand je leur dis que le cuir de raisin ne vient pas de la région bordelaise. Mais l’usine avec laquelle je travaille à Milan a le monopole de la fabrication de cette matière », sourit Laure Babin. Plus prosaïquement, on ne sait pas produire ce type de cuir en France. Cependant, quelques viticulteurs locaux, qui se retrouvent chaque année avec des tonnes de déchets sur les bras, l'ont déjà contactée pour essayer de travailler ensemble à l’avenir, ne serait-ce qu’en fournissant cette précieuse matière première.
« Honnêtement, je m’attendais à devoir fabriquer 200 ou 300 paires, pas 2683 ! »
La production a débuté au mois de juin au Portugal
La jeune marque ayant germé durant la dernière année scolaire, avec un semestre entier passé en confinement, tout est en effet allé très vite, peut-être trop vite pour les vignerons français. La production a débuté au mois de juin dans une atelier de fabrication au Portugal, avec qui la jeune fondatrice de la marque est en contact depuis le début. « Je suis partie là-bas seule avec mon sac à dos, dans l’idée de visiter plusieurs ateliers. Dans l’un d’entre eux, nous avions la même vision de sourçage des matériaux, du fait-main. Nous sommes donc très vite arrivés à un prototype satisfaisant, le modèle Alpha », ajoute-t-elle.
Une production juste et raisonnée, prise de court par l’enthousiasme des premiers acheteurs. « Honnêtement, je m’attendais à devoir fabriquer 200 ou 300 paires, pas 2683 ! »
La prochaine étape, après la livraison des milliers de paires commandées via Ulule et le lancement du site Internet en décembre : « incorporer à un nouveau modèle de baskets en cours de production des éléments issus des vignobles bordelais. » Retour aux sources. « Cela n’aurait pas de sens d'envoyer la matière première en Italie pour ensuite la transporter vers le Portugal, donc nous essayons de trouver un moyen de la transformer directement à l'atelier. »
Une fois la marque bien identifiée, Laure veut se lancer dans la production de tee-shirts en matière recyclée : peut-être une solution pour enfin utiliser de manière pérenne les résidus de raisin français.
"Nos baskets ne finiront pas au milieu des ordures ménagères"
Cuir par définition vegan puisque issu du raisin, pas d’œillets en métal, pas d’étiquette, une boîte en cartons recyclé et recyclable… Tout a été pensé pour limiter au maximum le gaspillage, y compris lorsque votre paire de Zèta sera bonne pour la poubelle : « J’essaie déjà d’anticiper la fin de cycle. Nos baskets ne finiront pas au milieu des ordures ménagères. Gebetex, un centre de tri normand, se chargera de les collecter pour les transformer en combustible vert. »
Les sneakers seront alors broyées en fines particules aux côtés d’autres déchets, puis chauffées pour devenir des pellets, sortes de granulés, qui seront envoyés à des cimenteries pour leur fournir de l’énergie. Une question subsiste alors : pourquoi le nom Zèta ? « En mathématiques, c’est une dérivée de la fonction zéro... pour zéro-déchet. » L’accent grave, lui, est juste une petite coquetterie.