À voir : « Close » de Lukas Dhont, les ravages de la pression masculine à l’âge adolescent

Après le très beau « Girl », le jeune réalisateur belge, Lukas Dhont, continue de façonner un cinéma intime et personnel, lorgnant du côté de l’identité et la difficulté d’être soi. « Close », grand prix à Cannes, raconte l’amitié sensuelle de deux pré-adolescents qu’une tragédie viendra soudainement briser. Un récit intime, au plus près des corps, qui ausculte le combat à la fois intérieur et extérieur d’un jeune garçon, face à l’irruption du regard des autres et la perte d’un être cher. Un grand film qu’on vous recommande.
  • « Vous êtes ensemble ? » Une remarque lancée sans réelle moquerie, ni agressivité, adressée à Léo et Rémi, deux adolescents qui partagent une complicité très forte. L’un, Rémi, semble doté d’une mélancolie lointaine, que sa pratique du hautbois vient souligner. L’autre, Léo, tête blonde, espiègle, nous rappelle le personnage de Victor Polster, dans Girl. Tous deux dorment l'un chez l'autre chaque week-end, partagent leurs secrets, leurs doutes, leur insécurité et se confondent souvent dans une chorégraphie des corps propre à l’enfance. Bref, ils sont meilleurs amis et la sensualité qui émane de leur amitié dérange.

    À leur entrée au collège, confrontés au regard et aux attentes des autres, ils se mettent à avoir peur, peur de tout ce qui, au début, semblait naturel. Leur amitié cache-t-elle un véritable amour ? Là n’est pas la question. D’ailleurs, on s’en fiche. Mais c’est trop tard, ils se font du mal, ils s’éloignent. Et ce choix de mise à distance aura des conséquences terribles pour les deux garçons.

    Une amitié qui pose question

    C’est en retournant dans son école primaire, dans le village où il a grandi, près de Gand dans sa Belgique natal, que Lukas Dhont s’est souvenu. Une époque « où il m’était difficile d’être moi-même, sans filtre ». Une époque où les garçons se comportaient d’une certaine manière, les filles d’une autre. Sans aucune appartenance à un groupe, il raconte comment les amitiés qu’il pouvait cultiver avec d’autres garçons lui faisaient peur.

    C’est cette même peur qu’éprouve le personnage de Léo. Peur de cette fluidité, de cette liberté, lorsqu’il comprend que son intimité avec Rémi offre au regard des autres comme une confirmation d’une identité sexuelle supposée. La rigidité des normes peut être fatale, tant, lorsque l’âge nous l’apprend, elle enferme dans des supposées cases. Ces mêmes cases lui apprennent à avoir peur de son propre univers intérieur, de ses propres émotions. « C’est très universel, car nos existences sont cadrées dès l’adolescence par ces concepts extérieurs qui nous enferment » détaille le réalisateur.

    Ce que l’on attend d’un garçon

    « J’avais le désir de parler de masculinité ». Comme beaucoup de fils, Lukas Dhont souligne l’absence de communication père-fils et affirme être le produit de ce manque de communication. Dans la première partie du film, il cherche ainsi à montrer la beauté qui découle d’un bonheur partagé. Une parenthèse innocente, avant que l’éducation masculine ne renferme cette porte ouverte vers l’extériorité, juste avant que l’on n’inculque aux garçons la peur de l’intime, de la fragilité et de la tendresse. C’est dans les travaux de la psychologue Niobe Way que le réalisateur a trouvé matière à nourrir son récit : « Plus les années passent, plus les garçons ont du mal à évoquer l’intimité avec leurs amis masculins. » (Deep Secrets – Boys Friendships and the Crisis of Connection).

    Léo trouve dans la pratique du hockey sur glace une expression de la virilité que l’on attend d’un jeune adolescent. À la fois métaphore du cloisonnement de son monde intérieur et terrain de jeu où l’on lui enseigne la compétition masculine, le hockey et son imposant équipement viennent entraver les mouvements et les émotions d’un personnage qui, jusqu’ici, semblait se mouvoir avec fluidité.

    Une normalisation par le genre dont on constera aussi les conséquences à l’âge adulte. Renflouant un chagrin par pudeur masculine, le père de Rémi craquera en plein dîner, faisant voler en éclat les apparences. Un raz de marée émotionnel qui laisse imaginer, par la même occasion, l’imposant cadenas qu’a pu façonner des années d’injonctions à masquer sa vulnérabilité. Pour autant, il ne s’agit pas non plus pour Lukas Dhont, de renforcer les stéréotypes en reliant trop facilement la féminité, via le personnage de la mère de Rémi, à l’extériorisation d’émotions. Cette dernière, interprétée avec beaucoup de pudeur par Émilie Dequenne, agit autrement. Tout se passe à l’intérieur, évitant l’écueil du pathos.

    Bouleversant récit adolescent sur la fin de l’innocence, Close pose un regard juste et nécessaire sur la toxicité que peuvent générer les normes de genre, et plus précisément masculines. Non pas seulement chez les femmes, mais chez les hommes eux-mêmes, vous l’aurez compris. Et s’il vous fallait un dernier argument pour vous rendre en salles, notez que le compositeur Valentin Hadjadj, déjà derrière la bande originale de Girl, fait exister les sentiments enfouis du jeune Léo avec une très jolie partition mélodramatique.   

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