Il enregistre la nature pour réaliser des « films pour les oreilles »

Depuis 25 ans, l’audio-naturaliste Boris Jollivet écume les continents pour traquer les sons de la faune et de la flore. Ses « films pour les oreilles » nous donnent à écouter une nature presque inaccessible et quasi merveilleuse.
  • Comment embrasse-t-on la carrière d’audio-naturaliste ? Pour Boris Jollivet, la vocation est née à l’adolescence : un jour, il est interpellé par un étrange vacarme qui s’avère n’être… qu’un simple petit coléoptère tapant sa tête contre une poutre. Il apprend le métier au début des années 1990 auprès du célèbre audio-naturaliste Jean-Claude Roché, auteur de dizaines de CD de chants d’animaux et de biotopes. Depuis, Boris Jollivet promène ses oreilles aux quatre coins du globe pour capter l’univers foisonnant et fascinants des sons de la nature.

    Patience et appli du trafic aérien

    Pour réussir à enregistrer la tété du castor, le déchirement de l’orage, le grignotage de la fourmie ou le feulement du lynx, Boris Jollivet passe de longues heures presque immobile, parfois emmailloté dans sa couverture de camouflage. Il peut compter sur son microphone parabolique pour capter les sons les plus diffus. À l’aide d’un hydrophone plongé dans l’eau, il restitue même la vie aquatique des rivières.

    Les chaussures de randonnée, le canoë et les bivouacs de plusieurs jours ne suffisent pas pour s’immerger dans la nature la plus sauvage. Boris Jollivet, comme il l’explique, délimite les lieux qui ne sont pas touchés par la pollution sonore :

    « Je dois étudier les cartes, identifier les endroits où les routes sont éloignées, déterminer par où passent les couloirs aériens, grâce à des applications montrant en temps réel les lignes aériennes. Tout cela m’impose les lieux où j’enregistre. »

    De retour dans son studio, il monte les sons en « films pour les oreilles ». Dans Chants des glaces, par exemple, il nous donne à entendre les étonnantes modulations émises par un lac du Jura pris dans la glace par -22°. Lancez la vidéo, fermez les yeux et écoutez ce morceau digne d’une audacieuse composition de musique électroacoustique :

    Traque de son et perte de biodiversité

    Malgré ses 25 années d’expérience, Boris Jollivet réussit encore à être surpris par dame Nature. Un jour, il est intrigué par un son qu’il ne reconnaît pas. Après des heures de recherches minutieuses, il se rend compte que ces percussions proviennent d’une araignée-loup.

    Sa sonothèque compte plusieurs milliers d’enregistrements, pourtant ce traqueur de sons rêve encore de plusieurs trophées à son tableau de chasse : le loup du Jura ou le blaireau européen, un animal plutôt commun mais extrêmement discret. Il fourbit alors ses pièges sonores qu’il laisse tourner 48 ou 72 heures en espérant capturer leurs proies.

    Au contact quotidien avec la nature, l’audio-naturaliste a vu la nature changer en deux décennies :

    « Des prairies s’appauvrissent, des lieux humides disparaissent, des espèces que j’ai pu enregistrer il y a vingt-cinq ans ne sont plus là ou deviennent très rares. »

    Ouvrir les oreilles

    Bien qu’il répète ne pas avoir l’ouïe hyper développée – tout juste une bonne concentration d’écoute et la mémoire des sons – les oreilles de Boris Jollivet sont particulièrement demandées : la production de La Panthère des Neiges, césar 2022 du meilleur documentaire, lui a confié le montage sonore du film.

    L’an dernier, il a également publié un vinyle intitulé Sauvage, et composé de bruits d’animaux d’Europe. À jouer sur votre platine en gardant en tête cette phrase du poète Fernando Pessoa que Boris Jollivet à fait sienne : « J’écoute sans regarder et ainsi je vois. »

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