Le métier de Luc Pinto Barreto ? Dealer de livres

Si 25% des librairies françaises se trouvent en Île-de-France, les trois-quarts se trouvent dans Paris intra-muros. Alors quand un deuxième libraire s’installe à Saint-Denis, c’est un événement. Passé d’une simple table à un conteneur aménagé, le projet "Dealer de livres" de Luc Pinto Barreto est devenu en un an à peine, et peut-être malgré lui, une lueur dans la morosité ambiante.
  • « Devenir libraire “de rue”, c’est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour combiner activité économique, épanouissement humain et culturel, convictions personnelles et militantisme... » C’est par ces mots que Luc Pinto Barreto, alias Annibal Lecteur, décrit son projet à l’été 2019. À ce moment-là, sa librairie « Dealer de livres » est éphémère et sa sélection tient sur une table et un paravent. Il partage aussi depuis 2015 des critiques littéraires sur sa chaîne YouTube.

    Dans une vidéo « Lire délivre », il explique : « Quand je lis, je réfléchis, j’analyse. C’est quelque chose que je souhaite partager avec le plus grand nombre. » À chaque lecture, il ouvre sur les questions qui le touchent. Comme en 2017, où il s’interroge sur ce que cela signifie d’être noir en France, avec les livres L'énigme du zèbre: Un récit initiatique, de Mpata Nse, La condition noire de Pap Ndiaye ou encore Les adolescents noirs en France: des jeunes en quête d'identité de Ferdinand Ezembé.

    111 000 habitants, deux librairies

    Ville limitrophe de Paris, Saint-Denis compte plus de 100 000 habitants et seulement… une librairie, Folies d’encre, avant que Luc Pinto Barreto ne décide d’en ouvrir une à son tour. Ancien technicien de maintenance dans l’hôtellerie, métier qu’il exerce durant cinq ans, il choisit de se reconvertir. « J’ai rencontré Sylvie de la librairie Folies d’encre, avant ma reconversion. J’ai ensuite fait un stage de trois semaines dans sa boutique pour découvrir le métier », raconte-t-il à l’époque au JDD.

    Le but de ce nouvel endroit est d’amener le livre dans des espaces où il n’est pas encore assez présent, et d’être le plus ouvert sur l’espace public possible. La gare de Saint-Denis n’a pas été choisie au hasard : c’est l’une des plus grandes gares d’Île-de-France en termes de fréquentation.

    « Mon but, ce n'est pas de sauver qui que ce soit de l’illettrisme, à Saint-Denis ou ailleurs. »

    Son envie, surtout, c'est de « participer à la vie de quartier ». Il ne s’agit pas seulement de créer un commerce qui ait du sens mais d’habiter au plus près de ses lecteurs et lectrices. L’idée du conteneur a depuis été concrétisée à la rentrée 2020 grâce à une cagnotte de plus de 16 000 euros mais aussi une aide de 23 000 euros en subvention. Soutenu par la ville de Saint-Denis, un arrêté l’autorise à rester jusqu’en septembre 2023.

    Au menu : des livres qui mettent en avant les auteurs et autrices afro-descendants, des sujets qui parlent de décolonisation, féminisme, éducation, qui explorent les territoires de l’Afrique ou encore des Caraïbes… Sa lecture du moment ? Cher pays de notre enfance, enquête sur les années de plomb de la Ve République d’Etienne Davodeau et Benoît Collombat. « Passionnante et terrifiante à la fois ! », commente-t-il sur sa page Facebook.

    "Lis plus, apprends plus et change le monde."

    Sur son conteneur on peut lire une inscription en anglais : « Read more, learn more, change the globe » (« Lis plus, apprends plus et change le monde »), paroles de la chanson I can de Nas, sortie en 2002, ode puissante à l’histoire et l’auto-détermination des personnes afro-américaines aux USA.

    Mais sur Facebook, il insiste face à certaines incompréhensions voire malentendus véhiculés lors d’une couverture médiatique intense ces derniers mois : non, il n’a aucune prétention à « sauver qui que ce soit de l’illettrisme à Saint-Denis ou ailleurs », ni à prétendre qu’une librairie puisse résoudre « les nombreux problèmes que peut connaître la ville de Saint-Denis ». « Oui, écrit-il, dans ma sélection, présente et future, il y a une mise en avant des auteurs, autrices des mondes afros (Afrique, Caraïbes, Amériques, Europe,...) mais pas uniquement ! Je suis curieux et m'intéresse à tout un tas de sujets et cela se reflète dans ma sélection. »

    Pour lui, le plus important est de « mettre en place des rencontres et de l'animation culturelle sur le parvis de la gare. Le but étant d'être plus qu'un "simple" point de vente. Rencontres qui ne pourront avoir lieu que lorsque la situation sanitaire et la météo seront adéquates. » Il conclut : « Bien que cela puisse en étonner certains, je ne me suis pas (encore) résigné à rester dans un métier pour lequel je n'ai aucune motivation et au mode de vie "métro, boulot, dodo". »

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