2022 M01 6
Baise-moi, c’est l’histoire de Nadine et Manu, deux femmes qui se rencontrent un soir sur un quai de gare, après avoir vécu des horreurs, et en avoir causé à leur tour. Elles se retrouvent dans leur goût pour « le sexe extrême, la drogue, la bière et la gachette » et décident de continuer leur route ensemble dans une cavale sanglante, entre orgies et tueries.
Virginie Despentes n’a que 23 ans quand elle écrit ce premier livre. Considérée comme l'une des grandes voix du féminisme contemporain, cette autrice française choque et déstabilise. Dans ce livre, elle aborde des sujets tabous : le sexe - écrit par une femme et raconté sous le prisme des femmes qui plus est - et le viol.
Elle en parle de manière crue et brutale, avec la volonté de montrer la réalité telle qu’elle est, sans avoir peur de déplaire ou de choquer. Elle met en lumière cette violence que les femmes vivent au quotidien. Une violence dont elle peut témoigner personnellement : à 17 ans, alors qu’elle rentrait d'un voyage à Londres avec une amie, Despentes est victime d’un viol. Avant d’en parler de manière autobiographique dans King Kong Théorie, elle raconte ce traumatisme à travers les yeux de Manu dans Baise-moi.
« Ma chatte, je peux pas empêcher les connards d'y rentrer et j'y ai rien laissé de précieux. »
Une adaptation au cinéma controversée
Virginie Despentes décide d’adapter ce roman au cinéma avec Coralie Trinh-Thi, six ans après la publication de son livre. Le film sort en juin 2000 dans 64 cinémas de France, en étant interdit aux moins de 16 ans avec avertissement. Il est très controversé et déclenche de vives polémiques.
En cause ? Son esthétisme transgressif qui emprunte les codes du porno : des scènes de sexe non-simulées, des gros plans de pénis en érection, les comédiennes principales qui viennent du X… Sans compter la violence constante en tâche de fond qui rythme la narration.
Et si Baise-moi choquait déjà à l’écrit, il entraîne une vague d’indignation une fois mis en images. Il est retiré des salles seulement deux jours après sa sortie - il aura tout de même comptabilisé « près de 50.000 entrées » comme nous le précise Christophe Triollet, juriste et écrivain, directeur de la collection Darkness, censure et cinéma chez Lettmotif.
« Plus tu baises, moins tu cogites et plus tu dors. »
“Promouvoir”, en croisade contre le sexe et la violence
À la tête de ce mouvement contestataire, l’association Promouvoir, fondée par André Bonnet en 1996, grande habituée des demandes de reclassification. Elle a plus récemment fait parler d’elle dans les affaires de La Vie d’Adèle ou Love pour ne citer qu’elles. Cette organisation se livre à des batailles contre le sexe et la violence au cinéma, et revendique faire « la promotion des valeurs judéo-chrétiennes, dans tous les domaines de la vie sociale ».
C’est elle qui obtient l’annulation du visa d’exploitation de Baise-moi, jugeant que « l’interdiction aux moins de 16 ans est insuffisante », l’accusant d’être un film X et estimant qu’il est « une atteinte à la dignité humaine » explique Christophe Triollet. De son côté, « le juge reconnaît que c’est un film artistique qui n’est pas un film porno, mais qui doit être interdit aux mineurs. Il est donc obligé de se ranger derrière la seule classification qui peut les protéger » ajoute le juriste.
Le problème c’est que depuis la réforme des classifications des œuvres cinématographiques de 1990, il n’existe plus d’interdiction aux moins de 18 ans simple, sans classification porno. Baise-moi se retrouve alors sans visa et interdit de diffusion - quelques salles continueront de le projeter en marque de soutien et de contestation, comme le MK2 Odéon.
Il lui faudra attendre plus d’un an pour être de nouveau diffusé dans les salles, grâce à un décret de juillet 2001 qui instaure « une interdiction aux mineurs sans inscription sur la liste des films à caractère pornographique » précise Christophe Triollet dans Censure & cinéma en France. Promouvoir tente une nouvelle fois de faire annuler ce visa, en vain.
En catégorisant ce film de "pornographique", le message artistique et engagé de Virginie Despentes et Coralie Trinh-Thi aurait été totalement nié; le résumant alors à de simples scènes de sexe à portée masturbatoire. À travers une esthétique et une écriture écartées du cinéma traditionnel, elles partagent leurs propres représentations des femmes et de leur sexualité, et dénoncent les violences qu'elles subissent.
Depuis ce premier livre, l’autrice ne cesse de transgresser et d’oser pour déconstruire les modèles et les valeurs du patriarcat, en mettant en lumière les conditions des femmes et en défendant leurs droits. Et sur ce point là, Despentes avait 20 ans d'avance sur l'époque.