Sinéad O’Connor, une vie de combat contre le patriarcat

La célèbre chanteuse irlandaise s’est éteinte mercredi à 56 ans. En plus de sa voix puissante, Sinéad O’Connor avait un féminisme chevillé au corps et le courage d’affronter ses troubles mentaux en public. Un modèle pour tant d'autres.
  • Pour beaucoup, ce nom évoquera à jamais un crâne rasé, un regard pénétrant et des éternelles Doc Martens. Pour d’autres, il rappelle surtout une scène de tension extrême en live. Nous sommes le 3 octobre 1992 et la chanteuse irlandaise est invitée à chanter en direct sa reprise de War de Bob Marley. Sans prévenir, elle en modifie les paroles face caméra pour accuser l’église catholique d’abus sexuels avant de déchirer une photo du pape Jean-Paul II en clamant : « Battez-vous contre le véritable ennemi ! ».

    Un geste qui cataloguera Sinéad O'Connor en radicale ingérable et la tiendra éloignée des plateaux pour longtemps. Pourtant, elle a ses raisons : le Vatican mène alors une campagne d’étouffement des scandales qui éclaboussent des prêtres pédophiles. Un crime dont a personnellement été victime la jeune chanteuse.

    The kids are NOT alright

    Née à Dublin en décembre 1966, Sinéad O'Connor assiste au divorce de ses parents à 8 ans. Restée vivre avec sa mère alcoolique, elle subira la violence des assauts de celle-ci : des coups de pied dans l’abdomen en particulier mais aussi des humiliations, la déshabillant pour torturer son sexe, « le torturant, lui crachant dessus. Ma mère a complètement bousillé mon rapport à la sexualité » a-t-elle raconté en 2015.

    Devenue délinquante, Sinéad atterrit dans un couvent de religieuses. Elle décrira surtout cet endroit comme le lieu de « la terreur et de souffrance ». Cette souffrance que subissent les enfants va devenir son combat. Qu’elle découle d’abus sexuels ou des guerres, comme l’avait rappelé son mini-album "Gospel Oak", dédié aux peuples « d'Israël, du Rwanda et d'Irlande du Nord ».

    Elle-même a été mère quatre fois, au cours de quatre mariages. Enceinte lors de l’enregistrement de son premier album, sa maison de disque lui demanda de devenir « plus féminine » ; en réaction, elle va se faire raser la tête, ce qui participera à sa reconnaissance. Un bon doigt d’honneur au patriarcat, mais Miss O’Connor n’a pas fait que des scandales.

    Prise directe avec la bipolarité

    En plus de défendre les enfants et les femmes, Sinéad O’Connor a aussi largement participé à faire parler de santé mentale. Celle qui a chanté mieux que quiconque la douleur et le tourment avec Nothing Compares 2 U (reprise de Prince devenu un tube planétaire), a avoué en 2007 sa bipolarité, après plusieurs épisodes dépressifs et tentatives de suicide. Elle se décrivait adolescente comme kleptomane et adulte comme pleine de traumatismes. Elle a aussi assumé ses contradictions, en accusant l’église catholique de nombre de ses douleurs avant d’être ordonnée prêtresse par une l’église dissidente pour finalement se convertir au bouddhisme puis à l’Islam en 2018.

    Sinéad O'Connor n’a jamais hésité à montrer sa face sombre et ses errances directement sur les réseaux sociaux, annonçant plusieurs fois vouloir se retirer de la musique mais aussi racontant des épisodes plus intimes comme son hystérectomie pour ne plus subir les affres de l’endométriose, la perte de la garde de ses enfants et ses passages en hôpitaux psychiatriques.

     

    Après le suicide de son propre fils, elle a même twitté depuis la voiture de police qui la conduisait à l’hôpital pour confier son envie d’en finir avec la vie en direct...

    Tout ce ramdam médiatique, ses scandales comme l'aveu de sa bisexualité, ont conduit Sinéad O'Connor a être traitée comme une "Pasionaria", écorchée et ingérable. "Les médias me faisaient passer pour une folle parce que je n'agissais pas comme une pop star était censée agir, a-t-elle décrit au New York Times en 2021, c'est presque comme être dans une sorte de prison. Tu dois être une bonne fille." Mais sa franchise, sa transparence totale et son intransigeance ont permis de montrer la condition des personnes souffrant de bipolarité et des femmes en souffrance dans le show-business. C'était deux décennies avant les réseaux sociaux et sans elle, impossible de porter le même regard compréhensif sur Amy Winehouse, Britney Spears, Whitney Houston ou même Diam’s.

    Crédit photo Une : Bryan Ledgard.

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