2021 M05 21
Il y a parfois des idées de génie qu’on aurait aimé avoir eu soi-même. Alors que l’on sort à peine d’un nouveau confinement et d’une deuxième vague qui aura finalement duré pendant sept mois, un réalisateur français a eu la présence d’esprit de pointer très vite sa caméra (et sa webcam, faute de pouvoir voyager partout) sur ceux qui nous auront sans doute le plus aidé à supporter cette période trouble : les danseurs.
Olivier Klepatzky, photographe et réalisateur travaillant habituellement pour des boîtes de production télévisuelles, est passionné de danse. Dès mi-mars 2020, alors que la majorité d’entre nous est encore prostrée par l’annonce du premier confinement strict et que les rues sont désertées, il sent un frémissement autour des corps qui se bougent sur la toile pour conjurer l’isolement, et a la présence d’esprit de contacter aussitôt des danseurs professionnels et amateurs, profs de danse, chorégraphes, simples citoyens et autres infirmiers qui se sont lancés dans divers défis pour ne pas craquer. A priori, rien de très original.
Sauf que ce documentaire aux prémices innocentes devient très vite l'anthologie d’une année passée, pour la plupart d’entre nous, entre quatre murs. Déjà parce que la danse, on le découvre alors, a eu une importance capitale sur beaucoup de confinés, ensuite, car elle figure également une cartographie de nos usages des réseaux sociaux, indispensables pour partager nos vies à distance. Le docu est ainsi bourré de mèmes que nous avons tous vu passer au moins une fois sur nos téléphones portables et autres tablettes. Et ce travail d’archivage en devient très émouvant.
Des chorégraphies devenues mèmes Internet en quelques jours
Chorégraphie commandée par le gouvernement vietnamien devenue hymne mondial (elle est apparue dans le programme Last Week Tonight de John Oliver sur HBO), vignettes TikTok créées par Mehdi Kerkouche partagées des millions de fois sur l’application préférée des ados, danseurs de l’Opéra national du Rhin au chômage soudainement "coincés" chez eux dans des postures insensées, citoyens français et étrangers applaudissant aux fenêtres avant de se lancer dans de courtes danses de soutien, zumba confinée, cours de danse assise pour rompre l’isolement des personnes âgées… Quasiment tous les morceaux de vie captés et "analysés" par Klepatsky nous replongent immédiatement dans nos souvenirs émus. Larmes garanties.
Contrairement à ce que l’on aurait pu craindre, on se retrouve en effet à éprouver une sorte de nostalgie pour cette épreuve collective. Cette pandémie de malheur aura apporté son lot de solidarité, de poésie et de joie, souvent grâce à la musique et ses dérivés. Les rassembler par thème et se rendre compte de l’importance de la danse dans notre résilience est un véritable coup de maître.
"Mon idée initiale était de casser le côté négatif charrié par ces confinements, nous dit Olivier Klepatzky, joint au téléphone. Des gens ont très vite décidé d’aider les autres en créant un échange passant par l’art. Étant connecté avec de nombreux danseurs du fait de mon activité de photographe, j’ai commencé par contacter Stéphane Phavorin, professeur de danse à l’Opéra de Paris. À partir du moment où il a accepté avec enthousiasme, cela m’a donné des ailes et j’ai su que je tenais quelque chose de super fort". Il admet volontiers son admiration pour les danseurs, "des athlètes de haut niveau, qui font énormément de sacrifices" et dont le travail a été mis à mal pendant un an et demi. "Plusieurs acteurs de ce secteur ne vont pas se relever après la Covid-19, il fallait aussi soutenir cette création qui nous donne de belles émotions", insiste-t-il.
Danse dans la rue, danse assise ou cours de mouvements libres
De la France à la Colombie, du Liban aux États-Unis, ce passage en revue raconte des histoires extraordinaires, qu’elles émanent de pros voulant partager leur art ou de simples citoyens avec des fourmis dans les bras et les jambes. Faute de pouvoir voyager partout (à cause des restrictions et d’un budget limité), Olivier Klepatzky a réalisé les entretiens à l’étranger par webcam. Au début, on redoute une compilation d’appels Zoom sans dynamisme. Mais le réalisateur intercale ces interviews d’images d’archives, de plans "vus du ciel", et surtout de vraies rencontres avec ces Français qui ont embelli le confinement à l’aide d’initiatives passionnantes.
À l’image de ce petit groupe de voisins d’Issy-les-Moulineaux qui se retrouvaient chaque soir dans la rue pour un quart d’heure de danse cathartique, distanciation sociale incluse. De cette maison de retraite picarde où l’on pratique la danse assise depuis le premier confinement. Ou encore de l’initiative Je danse comme je suis, des cours de "mouvement spontané" créés dans le bois de Vincennes par Virginie Deville. Ils affichent encore complet en mai 2021 !
Un "documentaire-doudou" en forme d’archive
"Revoir l’année 2020 sous le prisme de la danse m’a permis de tirer le fil de tout ce qui s’était passé en France. En juin dernier, j’avais déjà toute ma trame, mais je ne voulais pas surtout pas faire un catalogue d’initiatives. J’ai sélectionné mes moments préférés et tout le monde a répondu présent", résume le réalisateur.
Après les interviews confinées, il a récolté un peu plus de 6000 euros via une plateforme de financement participatif, afin d’effectuer le "vrai" tournage sur place à travers la France. L’argent lui a également permis de financer l’étalonnage et les magnifiques interludes dansés. Tournés dans un Trianon vide, ils montrent deux performeurs de la troupe de la chorégraphe Tatiana Seguin se lancer dans des mouvements en forme de combat contre la Covid-19. Électrisant.
Il reste maintenant à faire distribuer le documentaire, qui va dès le mois prochain commencer sa tournée des festivals, en attendant qu’une chaîne de télévision ou une boîte de production de cinéma veuille bien le montrer à un plus large public. Difficile de faire plus fédérateur que ce sujet qui, paradoxalement, fait un peu peur aux distributeurs souhaitant tourner la page des années coronavirus. Toutefois, en montrant que la danse était un langage réellement universel pour apprendre à s’aimer, s’entraider et survivre, Olivier Klepatzky a touché une corde sensible, que nous aimerons certainement effleurer à nouveau dans quelques mois, quand tout cela sera terminé. Son documentaire-doudou fera sans aucun doute partie de nos plus belles archives.