Fous de shopping, ils ont arrêté d’acheter des vêtements pour sauver la planète

Ces anciens accros à la "fast-fashion", aux collections rares et aux produits chinés entre particuliers sont revenus récemment sur leurs habitudes de consommation. Ils témoignent dans Les Éclaireurs sur le déclic qui les a fait changer, et sur les difficultés rencontrées.

Pour Maud, étudiante de 25 ans, ce fut d’abord un crève-cœur, une épreuve : "Quand j’ai décidé d’arrêter d’acheter des vêtements, vers le début du premier confinement, qui remettait pas mal de valeurs en question dans la vie de beaucoup de personnes autour de moi, j’ai d’abord compensé en allant sur Vinted sans arrêt, à m’acheter des trucs inutiles quasiment tous les jours. Je me le justifiais en me disant que ce n’était pas du neuf, que les fringues étaient déjà passées dans les mains d’autres filles... Mais finalement, je me suis mise à me procurer des marques de fast-fashion que je n’aurais même pas regardé en magasin, seulement parce qu’elles étaient de seconde main et disponibles. Ça devenait ridicule."

Après des années de croissance, Vinted, le fameux site d’achat et de revente de vêtements d’occasion entre particuliers, est d’ailleurs lui aussi tombé en disgrâce, notamment lorsque de nombreux utilisateurs se sont rendus compte qu’il figurait une sorte d’accélérateur de la surconsommation d'accessoires de mode. Avec 21 millions d’utilisateurs, la plateforme accélère de fait la pollution textile, problème majeur, et participe au problème plutôt qu’à la solution.

La vraie radicalité, plus particulièrement pour les consommatrices et consommateurs qui avaient pour habitude de faire du shopping à bas coût tous les week-ends, c’est l’abstinence vestimentaire. Selon cette infographie complète et ludique réalisée par l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), les Français accumulent encore aujourd’hui 60% de vêtements de plus que voilà 15 ans, et ce malgré le début de prise de conscience des dégâts écologiques que cette mauvaise habitude provoque. En 2017 en France, 600 000 tonnes de textile ont fini à la poubelle.

Le vêtement le plus éthique, c’est celui qu’on n’achète pas

Bien sûr, nous mettons régulièrement en lumière sur Les Éclaireurs les initiatives de créateurs de génie qui réinventent la manière de consommer du vêtement, de la chaussure ou de l’accessoire. Certains, comme la créatrice des sneakers Zèta, assurent le "service après-port" de leurs produits. Arrivées en fin de vie, les baskets seront broyées en fines particules aux côtés d’autres déchets, puis chauffées pour devenir des granulés destinés aux cimenteries. Même chose chez Supergreen : la garantie d’une chaussure "zéro plastique, zéro animal et zéro déchet" permet à cette dernière d’être compostée. Soit.

Cependant, pour résumer le dilemme philosophique actuel des fans de mode et de shopping, "le vêtement le plus éthique, c’est celui qu’on n’achète pas". C’est en effet le seul moyen véritable de réduire à zéro les coûts environnementaux liés au transport, à la fabrication et à toutes les étapes de conception de n’importe quel vêtement ou chaussure.

"J’y suis allé par étapes, nous confie Michaël, un Toulousain qui avait la fâcheuse manie, depuis plus de 15 ans, de collectionner les sneakers. Je me suis séparé de ma collection quand j’ai dû emménager dans un appartement plus petit à la suite d'une rupture, et je me suis rendu compte qu’être dans une démarche de recherche constante de la nouveauté ne me rendait plus heureux".

Il s’est donc fixé une limite : trois paires par an, que des modèles rares et chers. Et avoue qu’il a dû trouver, au tout début, une "activité de substitution" à son "addiction". "Avant, tous mes week-ends tournaient autour de l’activité shopping, en shop ou en ligne, je voyageais même dans ce but. J’avais alors l’impression que ça constituait une grande partie de mon bonheur. Du coup, quand je sens que je vais me sentir triste de ne pas pouvoir acheter quoi que ce soit, je vais faire du sport", dit-il.

Pour plus d’éthique, un combat permanent du consommateur averti

Que l’on veuille acheter plus éthique, en tâtonnant, ou que l’on souhaite arrêter complètement de consommer du vêtement neuf, le problème principal, comme le souligne le journaliste spécialisé mode Anthony Vincent, est le suivant : "s’interroger sur la santé de la planète et celle des travailleurs textiles passe par la capacité de tracer comment et par qui sont produits, transportés et transformés les matières. Mais ce désir d’exigence coûte cher". Du coup, toute la responsabilité éthique repose sur les épaules du consommateur, seul face à ses démons, et que le capitalisme nourrit grâce au greenwashing.

"Je ne me pensais pas particulièrement sensible aux pubs ciblées sur les profils Facebook, explique Élodie, chargée de communication interne. Depuis l’adolescence, je me targuais de ne pas tomber pour les méthodes éprouvées des marketeux, qui essaient de te vendre leur mère pour 3 dollars. Il y a quelques années, je me suis surprise à cliquer sur des liens de sites marchands via Facebook ou Instagram, de remplir des paniers dans tous les sens, pour finalement ne rien valider au bout... C’est comme pour le racisme ou le sexisme, j’ai l’impression que ça se désapprend, qu’on est conditionné à réagir d’une certaine manière et qu’on panique si l'on n’y succombe pas".

Désormais adepte de déconsommation, une philosophie de vie qui se définit comme alternative radicale au système actuel, elle réfléchit constamment aux conséquences de ses achats. Que ce soit de la nourriture, des produits de la vie quotidienne… ou des vêtements. "Je n’achète plus rien, pour ainsi dire. En prenant soin de mes habits, je devrais pouvoir les garder pendant dix ou vingt ans."

"Je m’autorise de belles pièces de créateur quelques fois par an, car oui, j’aime toujours la mode, avoue, de son côté, Maud, et je ne m’achète que les sous-vêtements et les chaussures en neuf. Mais là encore, uniquement quelques paires par an." Laissé seul dans la jungle, "c’est au consommateur de savoir ce sur quoi il est prêt à transiger, faire preuve de bon sens, écrit Anthony Vincent. Un dressing durable, c’est aussi le meilleur moyen d’éviter d’avoir à raquer pour payer l’inévitable prix de davantage de transparence dans la mode", préconise-t-il. Être un citoyen responsable est un combat permanent.

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