J'ai testé pour vous : manger bio et local pendant une semaine

Même quand on "mange bien", il n'est pas si facile de se nourrir uniquement de produits bios, frais et locaux à longueur d'année, tout particulièrement lorsqu'on habite en ville (comme la majorité des Français). On a fait le test pendant une semaine.

Même lorsqu’on pense faire partie de la tribu de ceux qui "mangent bien", à savoir que l’on possède suffisamment de ressources bios et locales à proximité, une éducation à la bonne nourriture via sa famille ou des articles et livres, et des revenus conséquents, on se rend vite compte qu’il n’est pas si facile que cela de se nourrir uniquement de produits bios, frais et locaux sur le long terme.

Les véritables locavores, capables de tenir un tel régime tout au long de l’année, sont très rares, ne serait-ce que parce que les condiments proviennent de terres lointaines, et qu’il est très difficile, même pour le plus hardcore des agriculteurs, de tout cultiver chez soi. Quand on habite dans une grande ville de France, même en se rendant de manière hebdomadaire sur un marché de producteurs où tous les produits sont estampillés locaux, il est plutôt ardu de ne pas dépasser la barrière symbolique des 50 kilomètres à la ronde concernant la provenance de ses produits.

L’auteur de cet article, citadin élevé à la campagne (ou, contrairement aux idées reçues, la dépendance à la voiture rend plus fréquents les voyages au supermarché que ceux chez les fermiers du coin), a tenté de relever le défi d’une alimentation entièrement composée de fruits, légumes, viandes, poissons et féculents issus de l’agriculture biologique, en limitant au maximum les trajets inutiles des produits consommés, et ce, durant une semaine du lundi matin au dimanche soir.

Les supermarchés, bons sur les produits bio, mauvais sur les produits locaux.

Pour commencer, le petit-déjeuner est un défi de chaque instant. Si manger des œufs en provenance d’une exploitation agricole voisine et boire du lait fermier est à la portée de toute et tous, il sera plus difficile de trouver une source de céréales qui ne proviendrait pas de la très centralisée filière céréalière française. La France produit en effet un quart des céréales de l’Union européenne, soit en moyenne de 65 à 70 millions de tonnes par an.

Si vous comptez sur votre boulanger bio du coin de la rue pour vous fournir en pain complet aux céréales, il faudra espérer qu’il se sera fourni dans l’un des 394 moulins qui approvisionnent les 35 000 boulangeries artisanales de France, avec un organisme stockeur (coopérative agricole, entreprise de négoce…) qui offre dans l’Hexagone un maillage fin et serré du territoire. Beurre : ok ! Œufs : ok ! Lait : ok ! Pain : ok ! Pour la confiture, n’ayant plus, dans mon garde-manger, de gelée de prune Reine-Claude que me donne ma grand-mère à chaque printemps, on fera sans.

En plus de prévoir tous ses repas de la semaine pour ne pas succomber à la tentation du menu à emporter (impossible à tracer) ou du grignotage de produit industriel vite fait mal fait, le move ultime, que ce soit pour le déjeuner ou le dîner, c’est de ne jamais se rendre dans un supermarché. Leurs sollicitations permanentes rendent le fait de manger local un challenge impossible à relever.

Concernant le bio, ces derniers ont désormais, pour la plupart, des rayons bien garnis, la consommation de nourriture organique s’étant largement démocratisée. Cependant, attention aux nombreuses arnaques d’une filière devenue en quelques années une vache à lait pour des industriels peu scrupuleux.

Il faut savoir s'adapter en permanence.

Un autre écueil, c'est le manque d’habitude, l’absence de routine quand il s’agit de faire ses courses; d'autant plus avec nos vies professionnelles plus volatiles qu’auparavant. Un emploi du temps erratique, des horaires irréguliers, une mauvaise hygiène générale de vie empêchent la mise en place d’une alimentation bio et locale.

Une récente étude du Center for Disease Control and Prevention (le fameux CDC américain, en première ligne depuis le début de la crise de la Covid-19) vient en effet de révéler une chose que l’on soupçonnait déjà : au bureau, on mange mal. C’est pourquoi j’ai opté pour une semaine passée entièrement en télétravail avant de faire ce test.

En visitant des petits commerçants locaux et des marchés fermiers que je fréquentais déjà en amont de cet article, je ne découvrais pas pour la première fois certains vendeurs de ma rue. J’ai ainsi pu savoir d’où venaient mes tomates et mon concombre, même si j’ai dû oublier la fêta et opter pour un fromage de chèvre local pour assembler ma petite salade du midi.

Après avoir cru que j'allais devoir faire une croix sur mon yaourt quotidien, une coopérative réunissant de nombreux paysans niçois (21 Paysans) a en fait comblé mes envies de laitage fermenté sucré pour la semaine. Ces coopératives d’agriculteurs installés non loin des villes et se réunissant pour ouvrir et gérer une boutique en leurs centres se sont multipliées ces dernières années. Elles promettent une alternative stable aux marchés de producteurs, où les produits et les étals changent à longueur d’année. Ici aussi on suit les saisons, mais il existe une boutique physique où se rendre tout au long de l’année.

Des régions inégales face à la "bonne bouffe" locavore

Le secret du bien-manger bio et local, c’est également respecter les saisons, donnée primordiale si l’on veut s’assurer que nos fruits et légumes ne proviennent pas de l’autre bout du monde. Cela réduit considérablement la variété des produits que l’on peut consommer. Ainsi, ma salade tomates/concombres/chèvre fut renouvelée pendant tous les déjeuners de la semaine, pour la simple et bonne raison que lorsqu’on trouve un filon accessible et abordable, on s’y tient, notamment pour être sûr de relever le défi.

Manger local, c’est également plus facile dans certaines régions : en Bretagne, le réseau mangeonslocal.bzh, permet par exemple de retrouver sur une seule plateforme centralisée les meilleurs produits issus de l’agriculture bretonne. Forte de 20 000 personnes sur les réseaux sociaux, elle a créé une dynamique incroyable autour du locavorisme.

À Nice, MadeIn06 répertorie les principaux points de vente et producteurs locaux du département. Association loi 1901, elle "facilite la mise en relation entre les consommateurs et les producteurs locaux dans les Alpes-Maritimes". C’est par ce biais que j’ai déniché Le Domaine de la Tour, une propriété agricole nichée dans un écrin de verdure, dans la vallée du Paillon, à 30 minutes de Nice. Oliveraie, zone de maraîchage, pension pour chevaux et ferme pédagogique, le domaine de Sandra et Jacques Sorby comprend un sol enrichi avec les crottins des chevaux, des paillages naturels composés de broyats végétaux recyclés. Leurs légumes sont vendus sous forme de paniers, au fil des saisons, comme dans une AMAP. De quoi sauver ma semaine.

Côté viandes et poissons, à moins de vivre près d’une exploitation bio et raisonnée ou sur un port de pêche, il faut se rendre à l’évidence : consommer moins est aussi la clé pour consommer mieux. Idem pour les féculents : si quelques ateliers de pâtes fraîches sont facilement trouvables dans la ville de l'auteur de cet article (Nice) et que trouver du riz de Camargue limite l'empreinte écologique, ce n'est pas le cas de toutes les régions françaises.

Enfin, manger local ne veut pas toujours dire manger sain. Il faut bien faire attention à ne pas succomber à la mode locavore simplement pour se donner bonne conscience, sans se soucier de qui se passe sur les terres cultivées autour de chez soi. Je m'en suis rendu compte en allant chercher, le dernier jour, des fruits chez le maraîcher du coin de ma rue, bien sous tous rapports, et vendant une immense majorité de produits français. Certaines tomates provenaient en fait d'Espagne... Comme quoi, même avec des solutions déjà à portée de main, le challenge du mieux manger reste encore largement perfectible. Ne reste plus qu'à pérenniser ce test 365 jours par an. 

A lire aussi