Dans cette région syrienne, on combat la guerre avec l'écologie et le féminisme

Ce petit État autoproclamé situé au nord de la Syrie se démarque par sa diversité culturelle, ethnique et multiconfessionnelle. Le rêve de ses habitants ? Créer une société dans laquelle l'humain et la nature seraient connectés. En 2018, le Rojava a lancé une campagne internationale pour l'aider à accomplir ce rêve. Une utopie verte au milieu des bombes ?
  • Il est fort probable que vous soyez incapable de positionner le Rojava sur un planisphère... Le Rojava (ou Kurdistan occidental) est une région rebelle et autonome du nord de la Syrie. Devenue indépendante en 2013, elle apparait aujourd'hui comme le dernier lieu où se jouent ces expérimentations institutionnelles nées lors de la révolution syrienne de 2011.

    On sait peu de chose de cet État autoproclamé où vivent, sous les bombes, plus de 6 millions d'habitants. C'est seulement en 2015 que la communauté internationale va entendre parler de la « Fédération Démocratique de la Syrie du Nord », suite à la bataille de Kobanê. La lutte acharnée de la résistance kurde (femmes et hommes confondus) face aux troupes de Daesh a ému le monde entier. Il faut dire qu'entre les attaques de l'État islamique et de la Turquie, la population du Rojava n'a pas connu beaucoup de répit… Mais le projet de confédé­ration démocratique théorisé par Abdullah Öcalan (fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK) persiste. Le Rojava est aujourd'hui un système démocratique basé sur l'auto-administration. Il s'inspire de la doctrine politique du philosophe, militant et écologiste libertaire Murray Bookchin. Ses piliers sont : la démocratie directe, le socialisme, l’émancipation des femmes et l’écologie. 

    Make Rojava Green Again

    Dans ce climat de guerre incessante, le gouvernement et la population du Rojava tentent de développer une politique tournée vers le respect de l'environnement. Isolé, ce petit État autoproclamé ne peut compter que sur lui-même pour alimenter sa population et sauver ses écosystèmes. C'est pourquoi la communauté internationaliste du Rojava a lancé, en 2018, une campagne internationale intitulée Make Rojava Green Again. Là-bas, l’eau est une denrée rare. D'un côté, il y a la Turquie qui détourne les fleuves en construisant des barrages, et de l'autre le réchauffement climatique qui les assèche. Afin d’économiser l'eau et renforcer la biodiversité, le Rojava s'appuie donc sur l’agroforesterie, la sylviculture et l’agriculture urbaine. Côté préservation, le Comité pour la conservation de la nature du Rojeva a créé deux réserves naturelles, dans le canton de Cizirê. Et pour lutter contre le déboisement, une association baptisée Tresses Vertes plante des arbres dans le Rojava. 

    En décembre 2022, le co-président des Tresses Vertes (Keziyên kesk), Ziwer Ceikho, était invité en France pour recevoir le prix de la fondation Danielle Mitterrand. Une reconnaissance et un soutien apporté aux « Bâtisseuses et bâtisseurs d’utopies du nord et de l’Est de la Syrie », pour qui recréer un lien sain avec la nature est une question de survie. Au média Reporterre, Ziwer Ceikho explique l'importance de reboiser le territoire :  

    « Nous avons constaté, via les données de l’hôpital de Damas, que 80 % des patients atteints de cancer venaient de notre région, à cause des puits d’extraction de pétrole qui se trouvent parfois à l’intérieur même des cours des habitations. (...) À travers ce projet de reforestation, nous espérons augmenter les pluies, baisser la température — qui peut atteindre 45 °C en été —, adoucir nos hivers, mais aussi diversifier notre alimentation. »

    Grâce à l'effort collectif, l'association des Tresses Vertes a pu commencer une pépinière de 17 000 semis. Leur objectif est de planter, d’ici à cinq ans, quatre millions de semis de différentes variétés. De quoi se rapprocher un peu de ce vers quoi tend le Rojava : un État où règne la paix sociale, où l'humain et la nature sont connectés, où les femmes sont libres (il existe, au Rojava, un village des femmes appelé Jinwar) et où chacun.e. trouve sa place. État providence en construction ou simple utopie ? Le Rojava fait figure d'oasis dans une partie du monde défigurée par la guerre. 

    Crédit photo Une : Flickr Kurdishstruggle.

    À lire aussi