2020 M11 2
Depuis un peu plus de deux ans, Elsa Miské anime le podcast Yesss avec Margaïd Quioc et Anaïs Bourdet, fondatrice de Paye ta Shnek. De son côté, Axelle Gay développe des jeux de société au sein de l’Eclap, une association marseillaise. « Je suis graphiste didactique, explique-t-elle. Mon métier est de transmettre des informations de manière visuelle, participative et interactive. »
Suite à leur rencontre, il y a à peine un an, tout est allé très vite. Elles se disent au cours d’une soirée : « Pourquoi pas faire une adaptation du podcast en jeu ? » Les dés sont lancés. Le crowdfunding dépasse de très loin leurs attentes : elles atteignent 470% de leur objectif, soit 2354 préventes sur 500 espérées.
Axelle Gay se montre enthousiaste sur le choix du format : « Le jeu, qui contient 220 cartes, est un outil génial pour transmettre des messages sans que ce soit autoritaire. On peut s’approprier le contenu avec sa sensibilité et comprendre les choses avec sa propre appréhension du monde. »
Action, réaction
Qui n’a jamais eu le sentiment d’avoir raté une occasion de répondre face à une remarque sexiste, raciste, transphobe, grossophobe ou encore homophobe ? À priori, un paquet de monde et surtout un paquet de femmes. Pour preuve, 8 Françaises sur 10 déclarent avoir subi au cours de leur vie au moins une forme d'atteinte ou d'agression sexuelle dans la rue ou les transports en commun selon une étude de l'Ifop (2018). Axelle y a beaucoup réfléchi avant de concevoir "Moi c’est madame" : « Souvent, quand on se fait attaquer dans la rue, on est sidérée. J’avais imaginé avec une amie à un florilège de ripostes qu’on aurait dans notre poche, de pouvoir sortir une carte qui nous aiderait. »
Le jeu consiste donc à répondre à une carte « Attaque » par une carte « Riposte ». La majorité des répliques proviennent du podcast Yesss (25 épisodes sur deux ans) : « L’enjeu était de voir de quelle manière les ripostes pouvaient être utilisées pour n’importe quelle attaque, que ce soit en famille, en couple, au travail, dans la rue… »
« - J'aime pas trop les capotes, mais tu prends la pilule non ? - En fait, je compte avoir une bonne douzaine de triplés, mais on devrait avoir perdu contact d'ici là... »
Côté ludique, "Moi c’est madame" n’est pas rébarbatif et permet de muscler sa répartie. Le gameplay nécessite de la rapidité, de la culture générale et l’on doit parfois faire face à des attaques collectives. Certaines cartes indiquent aussi différentes façons de répondre par l’improvisation ou avec des contraintes théâtrales.
Le jeu contient de la symbolique, comme le fait d’attaquer à chaque tour. « La répétition, ça fait partie du harcèlement. C’est voulu », précise Axelle. Dans les attaques, rien n’est fictionnel, et c’est bien ça qui fonctionne.
Ne manque pas d’humour, ni de sérieux
Quand certaines répliques font rire, d’autres provoquent un arrêt de jeu. Autour du plateau, les langues se délient pour engager le dialogue et se remettre en question. François, 34 ans, homme cis et blanc, a testé le jeu avec sa compagne : « Je me rends compte de certaines « blagues » faites par des hommes qui ne sont pas drôles, c’est du sexisme. Comme avec MeToo, ça me fait réfléchir à ce que j’ai pu dire avant, et que je ne redirais plus jamais. »
Les règles sont écrites au féminin parce que « c’est principalement des attaques reçues par des femmes », ajoute Axelle Gay. « C’est quelque chose qui n’était pas prévu à la base mais on s’est rendu compte que ça pouvait être aussi un jeu pour les hommes, poursuit Elsa. C’est une surprise et une réussite du projet. Ça permet de créer un outil de discussion, de s’impliquer. Sans faire exprès, on a créé quelque chose où les hommes peuvent prendre conscience de certaines situations problématiques, se mettre à notre place et s’entraîner à prendre la parole sur ces sujets. L’un des meilleurs effets du jeu, c’est qu’on fait une pause pour discuter. »
Futur radieux
Elsa et Axelle sont également en train de développer une version pour jeune public en partenariat avec l’association LOBA, dans le cadre du projet Re-création by loba, pour animer des sessions de sensibilisation et de création avec les jeunes.
L’idée est de récolter des témoignages de lycéens et lycéennes. « On ne sait pas encore s’il y aura des mécaniques différentes, mais ça devrait être à peu près le même gameplay, avec des situations adaptées aux réalités des adolescents et adolescentes, avec un focus sur le harcèlement scolaire, le cyberharcèlement ou encore les réseaux sociaux comme Snapchat et TikTok, plus éloignés de notre génération. »
Le jeu est aujourd’hui en cours d’impression et sera disponible début 2021. Outre la possibilité de le précommander sur le site, le jeu sera disponible dans les librairies. N’hésitez pas à jeter un œil près des rayons féministes.