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Après les premières représentations du spectacle Les Chatouilles ou la danse de la colère, en 2014, Andréa Bescond a vu déferler un raz-de-marée de témoignages. Des personnes, qui avaient vécu comme elle des violences sexuelles durant l'enfance, venaient la voir après son show pour partager leurs histoires, leurs douleurs, leurs souffrances. Depuis, la comédiene et réalistrice est devenue une militante contre ces violences et contre la pédocriminalité. Un rôle qu'elle assume pleinement et qui lui permet de marcher la tête haute.
Lors du festival Pop & Psy, qui se déroulera du 24 au 26 novembre à Paris, Andréa Bescond participera à un talk intitulé « violences sexuelles et psychotraumatismes : de la “danse de la colère” au rétablissement ». Pour Les Éclaireurs, Andréa nous parle des Chatouilles, de son engagement, des traumatismes liés à ces violences et des solutions pour essayer de guérir.
Première question : pourquoi vous participez au festival Pop & Psy ?
Je pense qu'il est important de toucher un public jeune aujourd'hui, surtout quand on parle de santé mentale. Il y a beaucoup d'angoisses qui se sont accumulées depuis la crise sanitaire, les chiffres concernant la dépression ont doublé chez les jeunes. Le festival, qui mêle des ateliers ludiques avec des talks sur des problématiques sérieuses et graves, c'est une formule intéressante.
Pour cette discussion je vais commencer par rappeler mon parcours, pourquoi j'ai parlé des violences sexuelles et comment je suis devenue une militante sur ce sujet-là et contre ces violences. L'idée, c'est aussi d'improviser et d'échanger avec un maximum avec public en étant à l'écoute des gens qui m'entourent.
Le premier tabou à briser, c'est celui de la parole, c'est ça ?
Exactement. Je ne suis pas psy mais souvent, après mes spectacles, et notamment quand je jouais Les Chatouilles, je passais beaucoup de temps après le show à écouter les gens, à les prendre dans mes bras. Je sais malheureusement qu'il y aura des personnes concernées par le sujet le jour du festival et ces gens-là auront sans doute besoin de poser les mots sur ce qu'ils ont vécu. Mon but, c'est surtout d'être à l'écoute.
À quel moment avez-vous avez commencé à créer la pièce Les Chatouilles ?
J'avais déjà fait une petite pièce avec juste de la danse qui s'appelait Petit Conte de Faits en 2007. Plus tard, quand j'étais enceinte de mon deuxième enfant en 2012, j'ai commencé à écrire ce texte autour des violences sexuelles que j'avais subies quand j'étais petite. Et la première représentation a eu lieu lors du festival d'Avignon en 2014.
Ça a été une grande aventure, car en 2014 je ne connaissais pas grand chose à la pédocriminalité. J'y allais à l'instinct, comme une artiste, sans m'être renseignée sur le sujet. Et je pense que j'étais encore dans une forme de déni : je n'ai pas dit que cette pièce était ma propre histoire avant septembre 2016. Par la suite, il y a eu un raz-de-marée avec de nombreux témoignages de personnes qui venaient me voir en me disant que je racontais aussi leur histoire à travers mon récit. À l’époque, je pensais que ce qui m'étais arrivé était rare. Maintenant, on sait qu'on est des millions à avoir subi ces violences.
Comment vous avez accueilli cet afflux de témoignages ?
Je ne sais pas dire non, et je me voyais mal jouer ma pièce et me barrer en vitesse alors qu'il y a des gens en détresse qui m'attendent. Faire ce spectacle, c'est aussi recevoir la douleur des gens.
Est-ce que ça vous pèse ?
Je ne dirais pas que ça ne me pèse pas, car tous les jours, je rédige des posts noirs sur Instagram pour parler du systémisme des violences. Tous les matins, au café, j'ai la tête dans des articles horribles. Mais c'est un choix et je suis fière de l'avoir fait. Je sais ce que ça apporte aux gens, et ce que ça peut apporter aux générations futures.
Comment vous abordez votre militantisme ?
Quand j'ai reçu le Molière en 2016, les médias ont commencé à évoquer ma prise de parole. Donc j'ai commencé à avoir une responsabilité vis-à-vis des victimes et il fallait que j'étudie et que je me renseigne. Au début par exemple, je disais que je me sentais complice de l'agresseur, etc. Des associations m'ont contacté pour m'alerter sur mes prises de paroles et me rappeler que je devais être pointue sur le sujet.
J'ai aussi essayé de mettre un pied dans le monde politique en rappelant l'utilité de la prévention, mais ça été une expérience décevante. Je me suis sentie trahie par cette atmosphère politique qui est beaucoup dans la communication et peu dans l'action. Là, je me suis dit : « milite en fait, fais ça tous les jours et ça sera ta petite pierre à l’édifice. »
Le talk lors du festival s'intitule : « Violences sexuelles et psychotraumatismes : de la danse de la colère au rétablissement ». Est-ce qu'on peut vraiment se rétablir de ces violences-là ?
Franchement, non. On est brisées pour la vie, même si les cicatrices s'adoucissent avec le temps et deviennent de plus en plus jolies. Ça fait des années que je suis suivie, j'ai fait la paix avec ma propre histoire, je sais que j'ai été manipulée, etc. Mais les psychotraumatismes sont encore là. À 44 ans, il y a plein de choses que je n'ai pas encore réglées. J'ai encore cette peur de ne pas être aimée ou des tendances addictives. Nous — les personnes ayant été victimes de violences — on est beaucoup plus vulnérables face aux épreuves de la vie (deuil, problème au boulot, etc.) et donc on peut vite replonger dans des comportements à risque, dans nos addictions ou dans des phases dépressives. On se relève, on est digne, on sublime sa colère, mais on se remet jamais vraiment.
L'humoriste Norma aborde le sujet de l'inceste dans un spectacle : la culture a un rôle crucial à jouer ?
Elle ne suffit pas mais elle a un rôle essentiel. Ça fait du bien à beaucoup de monde et ce sont des vrais outils de prévention et d'éveil, même pour des gens qui ne sont pas concernés. Et s'il y a des prises de conscience, il y aura des entrées en action. Le prisme de l'humour, ça fait moins peur et ça permet de rire. Les Chatouilles, ce n'est pas un spectacle comique, mais le public se marre une grosse partie du show. Les pointes d'humour ont un impact sur le public et par l'humour, on arrive à toucher les cœurs.
Pour participer au talk avec Andréa Bescond, ça sera vendredi 24 novembre de 13H45 à 14H30 à Ground Control à Paris (12e) lors du festival Pop & Psy.