Musique et santé mentale : est-ce encore un sujet tabou ?

Si plusieurs grands noms de la musique se confient ouvertement sur leurs troubles psychiques, comme récemment Stromae avec l'annulation de sa tournée pour se ressourcer, le tabou autour de la santé mentale dans les milieux artistiques reste hélas d'actualité.
  • Dépression, pensées suicidaires, addictions, mal-être. Ces mots, durant très longtemps, n’étaient pas associés aux milieux artistiques, et notamment à l’industrie musicale, qui préférait les termes de « poètes maudits », « d’artistes écorchés vifs » ou de « stars tourmentées ». Certes, ils font moins mal à l’œil et il faut bien l’avouer, ils sont nettement plus vendeurs.

    Pourtant, comme tout le monde, les artistes, les musiciens et les personnes qui travaillent au sein de l’industrie musicale peuvent aussi souffrir de troubles mentaux liés à leur activité professionnelle. D’ailleurs, de nombreuses études, en France comme en Grande-Bretagne ou en Suède ont montré que les chiffres concernant l’anxiété, le burn out, la dépression et les addictions sont parfois plus élevés au sein de la musique que dans d’autres secteurs.

    Banalisation des troubles mentaux

    N'en reste pas moins que durant de nombreuses années, ces troubles ont été glamourisés et minimisés et sont devenus presque « normaux » dans un secteur où souffrir n’était pas vu comme un problème contre-productif.

    Au contraire, les artistes qui souffrent — Amy Winehouse, Kurt Cobain, Pete Doherty, Billie Eilish, etc — font vendre. Leurs « failles » deviennent des arguments marketing et les troubles sont utilisés pour façonner de toute pièce une image « rock » ou une image d’artiste maudit. La propension de l’industrie musicale à utiliser les failles des artistes a toujours été connue. Sauf qu’aujourd’hui, les artistes comme les nouvelles générations brisent ces tabous autour de la santé mentale. Et disons-le franchement : il était temps. 

    Quand Stromae parle ouvertement de sa dépression au journal de 20H de TF1, le 9 janvier 2022, une partie des Français découvre la face sombre de la musique. Le Belge en parle dans sa chanson L’Enfer qui traite de cette maladie mentale. Et l'auteur de Papaoutai n’est pas le seul artiste à souffrir.

    Déjà en 2016, l’association britannique Help Musicians publiait dans un rapport que si « faire de la musique est thérapeutique, essayer d’y faire carrière est dévastateur. » 71% des musiciens interrogés lors de cette enquête disaient souffrir de stress et d’anxiété. 68,5% avouaient vivre des états de dépression, contre 20% en moyenne au sein de la population britannique au même moment.

    En France, selon les résultats d’une première étude menée par le Collectif CURA en 2019, 4 individus sur 5 disent souffrir d’anxiété et 4 individus sur 5 éprouvent, parfois ou souvent, une sensation de déprime. Dans un second volet publié en 2022, on apprend que parmi les artistes interrogés qui ont reçu un diagnostic médical, 63% souffrent d’anxiété, 14,5% de dépression et 11% de burn out. 38% des artistes se disent extrêmement anxieux (plus de 7 sur une échelle de 0 à 9). A titre de comparaison, « en France, 13,3 % des personnes âgées de 18 à 75 ans ont connu un épisode dépressif au cours de l’année 2021, selon le dernier rapport de Santé publique France, contre 9,8 % en 2017 », écrit Le Monde dans cet article consacré au rappeur Kid Cudi, l’un des premiers à avoir parlé ouvertement de ses troubles psychiques et de ses addictions. 

    Les causes des maux

    Pour les artistes comme les professionnels du secteur (tourneurs, techniciens, managers, attachés presse, etc.), les sources de ces problèmes sont connues. Ils varient en fonction de la profession, du niveau de célébrité et de succès et selon les sexes. Mais parmi les raisons évoquées, la précarité, le rythme de travail soutenu, le stress ou encore les violences sexistes et sexuelles arrivent en tête.

    « Ce que notre étude souhaite montrer, c’est le climat propice au stress, aux violences et à la précarité dans lequel peuvent se retrouver confrontées des personnes passionnées. Des passionnées qui préfèrent souvent repousser leurs limites physiques ou psychologiques pour s’adapter à des conditions de travail qui peuvent passer d’exigeantes à destructrices », écrit dans sa conclusion le collectif CURA. 

    La question de la santé mentale au sein de la musique est extrêmement vaste et complexe. Les problématiques d’un Stromae ne sont pas les mêmes que d’un musicien classique ou d’un jeune rappeur en devenir. Pourtant, tous évoluent dans le même secteur et tous semblent avoir des « bonnes raisons » de souffrir. Pour Stromae, les pressions inhérentes à son succès le poussent au burn out. Pour le jeune rappeur, la précarité peut causer de l’anxiété et pour le musicien classique, les gestes répétitifs peuvent mener à de graves problèmes musculaires. Les tournées, le manque de reconnaissance, la célébrité, l’éloignement avec sa famille ou encore le rythme de travail (le soir, les weekends, avec parfois pas mal d’alcool et de drogues) sont autant d’éléments qui peuvent peser dans la balance.  

    Le 4 avril dernier, Stromae annonçait qu’il annulait ses prochains concerts prévus en avril et mai :

    « Je dois me résigner au fait que ma santé ne me permet malheureusement pas de continuer à venir à votre rencontre pour l’instant ».

    Le Belge, qui avait déjà fait un break de 7 ans pour revenir en 2022, est encore sur le chemin de la guérison. Certes, de plus en plus d’artistes parlent ouvertement de leurs troubles aux médias — Ed Sheeran, Billie Eilish, Bruce Springsteen, Adele, Kendrick Lamar, Lomepal, Vald, Stromae, Gringe, etc. Une manière pour eux de montrer aussi les coulisses de cette industrie et de mettre des mots sur des maux.

    Mais en parler n’est que la première étape. Autant les artistes que leur entourage doivent aborder la santé — mentale et physique — comme une thématique centrale. Il y a beaucoup trop d’exemples d’artistes qui souffrent ou qui finissent par se suicider (Chester Bennington, Avicii, Amy Winehouse, Mac Miller, etc.) pour que ce sujet continue d’être passé sous silence. Car la musique n'est pas un monde parallèle dénué de sentiments, au contraire; c'est simplement le reflet de la vie réelle pour des milliers de personnes.

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