Qui sont les "homeschoolers", ces parents résistants qui font l'école à la maison ?

Le projet de loi "sur le séparatisme", qui contient un volet sur l'Éducation en famille (IEF), promet de tuer dans l'œuf toute velléité d'indépendance éducative d’ici à 2024. S’ils bénéficient d'un sursis, de nombreux parents adeptes du "homeschooling" et de "unschooling" sont choqués par les tentatives de l’État de contrôler leurs vies et l'avenir de leur progéniture. On fait le point sur cette bataille qui s'annonce.

Chaque année en France, environ huit millions d’enfants sont soumis à une "obligation d’instruction". Parmi eux, 82,7% sont scolarisés dans un établissement public, 16,5% dans un établissement privé sous contrat, 0,5% dans un établissement privé hors contrat… et 0,3% seulement sont instruits à domicile, dans un mélange d’apprentissage formel et informel, selon les méthodes adoptées par les parents qui doivent simplement demander une autorisation.

Ainsi, des estimations gouvernementales (datant de 2016) portaient à 25 000 le nombre d’enfants instruits en famille, dont 7309 poursuivraient une instruction sans enseignement à distance.

Peu importent les raisons qui poussent les homeschoolers et les unschoolers à ne pas scolariser leur progéniture dans les circuits classiques, le projet de loi sur le séparatisme, voté en mars 2021, inclut un volet sur l'éducation, promettant de facto de rendre la vie difficile aux adeptes de l’IEF (Instruction en Famille) à partir de 2024.

Pour l’instant, les familles sont sauves : "l’autorisation prévue par le code de l’éducation est accordée de plein droit, pour les années scolaires 2022-2023 et 2023-2024, aux enfants régulièrement instruits dans la famille au cours de l’année scolaire 2021-2022 et pour lesquels les résultats du contrôle organisé en application du troisième alinéa de l’article L. 131-10 du même code ont été jugés suffisants". Mais pour combien de temps ?

En d’autres termes, les familles IEF ont quelques années pour s’adapter. Mais il viendra un temps où elles devront changer de méthode, car le régime "d’autorisation" en vigueur aujourd’hui ne sera plus possible.

L'éducation religieuse à la maison, première cible du gouvernement

Pas encore interdite mais "en sursis", l’instruction en famille n’est pas bien vue par le gouvernement Macron. Officiellement, c'est donc pour lutter contre le séparatisme religieux que ce dernier tente de pousser dans leurs retranchements les familles réticentes à l’école "traditionnelle". Pour les voix critiques de l’administration en place, c’est l’enseignement islamique supposé "mal encadré" qui est la première cible de ces attaques.

"Si l’inquiétude des autorités publiques porte principalement sur les enfants instruits en famille pour motifs religieux, il n’est jamais fait état explicitement des familles musulmanes. Pourtant, il semblerait qu’une des préoccupations majeures des autorités publiques porte sur ces familles dont on connait objectivement peu de choses", explique Amélie Puzenat, maîtresse de conférence au laboratoire ESO (Espace et Société) à l’Université catholique de l’Ouest, à Angers.

"Concernant l’instruction en famille, la question de l’islam apparaît alors principalement liée au risque de radicalisation. Les plans nationaux successifs de prévention de la radicalisation, en 2016, puis en 20189, pointent en effet du doigt les établissements d’enseignement hors contrat, ainsi que l’instruction en famille."

"Cependant, aucune enquête ne permet de dire dans quelle proportion l’instruction en famille concerne les familles musulmanes, ni quel type de familles musulmanes elle concerne réellement." La chercheuse a étudié l’IEF, et estime que "les discours des familles musulmanes s’inscrivent dans la lignée des discours circulants sur l’IEF valorisant le respect du rythme de l’enfant, son épanouissement et sa réussite. Les familles soulignent une meilleure transmission des valeurs religieuses, où instruction et éducation religieuse s’accordent. Si elles expliquent leur choix par les besoins de l’enfant, les causes sont plurielles".

"Nos enfants n’appartiennent pas à l’État"

L’instruction en famille, considérée depuis des années en France comme un droit fondamental, va ainsi devenir une exception, dont les nombreuses contraintes vont la rendre impossible à assumer.

Patricia et Tom, vivant avec leurs enfants dans une communauté en Ariège, n’ont jamais mis leur Théo, 7 ans, à l’école. Ils sont "parents nomades" depuis que leur fils est né, et assurent son éducation informelle sans contraintes, profitant de chaque moment de vie pour enseigner des leçons. S’ils préfèrent ne pas y penser pour le moment, ils sont choqués par les tentatives de l’État français de tuer dans l’œuf toute velléité d’indépendance éducative.

« Notre enfant est aussi intelligent que les petits qui passent leur vie enfermés entre quatre murs toute la journée, je ne vois pas de quel droit le gouvernement s’arrogerait le droit de mettre son nez dans nos vies." »

"J’ai été traumatisé à l’école publique durant mon enfance, encore plus en école privée", annonce Tom. "Nous avons choisi un monde de vie alternatif pour éviter de se conformer à toutes les règles de la société, notre enfant est aussi intelligent que les petits qui passent leur vie enfermés entre quatre murs toute la journée, je ne vois pas de quel droit le gouvernement s’arrogerait le droit de mettre son nez dans nos vies."

Le couple, qui n’est pas du tout dans une optique religieuse, défend leurs congénères qui préfèrent cette méthode d’éducation. "Nos enfants n’appartiennent pas à l’État, pas plus qu'ils n'appartiennent à nous, parents", lance Patricia.

"C’est juste un choix pédagogique, pas une déclaration de guerre"

Dans les communautés IEF, ce fut le choc et l’incompréhension en mars dernier. Le projet de loi sur le séparatisme, qui prévoit donc de "limiter strictement l’instruction à domicile, notamment aux impératifs de santé, dès la rentrée de septembre 2021", fut un coup de massue. "L’école, c’est ce qui permet dans notre société de bâtir ce commun qu’est la République", avait alors dit le président :

"C’est absurde, répond Anne, une maman niçoise adepte du unschooling, on peut faire société, et même République, en se choisissant la communauté dé vie que l’on souhaite." "C’est juste un choix pédagogique, pas une déclaration de guerre, je ne vois pas pourquoi Macron nous attaque en retour".

Dans les faits, en plus de l’autorisation pour ces 25 000 enfants "libres", les mairies et l’Éducation nationale contrôlent chaque année et à chaque fin de cycle les connaissances et les compétences des petits. Mais ces parents ne veulent pas donner davantage de mou à l’État. En prévision de la rentrée 2024, certains sont déjà en train de penser à des actions, des pétitions, à la désobéissance civile… voire à carrément quitter le pays.