Le lithium est-il vraiment "l’or blanc" de la transition verte ?

On ne parle plus que de lui en matière de transition verte : le lithium. Ce métal présent dans les batteries de nos smartphones et véhicules électriques ne fait pas encore l’objet d’un consensus. On décrypte.
  • Dans la lutte contre le réchauffement climatique, l’électrique devient peu à peu une nouvelle « norme ». On le savait présent dans nos smartphones, mais saviez-vous que le lithium est également utilisé en médecine et dans la fabrication de verre et de caoutchouc ? Surtout, il est devenu indispensable à la construction des batteries de voitures, vélos et trottinettes électriques. 

    Les pays lancés dans une transition écologique veulent évidemment acquérir une quantité maximale de ce métal alcalin ultra léger. C’est la ruée vers celui qu’on appelle « l’or blanc », la clé (paraît-il) pour ouvrir sa porte à une économie verte. Mais le lithium est-il vraiment un produit « propre » ?

    En 2013, l’EPA (US Environmental Protection Agency) publiait un rapport inquiétant. Ce dernier montrait que l’extraction du lithium poserait des problèmes d’éco-toxicité (l’ensemble des déséquilibres ou nuisances provoqué par une activité industrielle). Où en est-on en 2022 ?

    D’où vient le lithium ?

    Qui dit économie verte dit, à priori, circuits courts et respect de l’environnement. Saviez-vous par exemple que lithium se trouve en majorité dans l’eau salée et qu’il est le 33 ème élément le plus abondant sur terre ? La plus grande partie des réserves mondiales se trouve dans ce qu’on appelle « le triangle du lithium ». Cet espace se situe entre l’Argentine, le Salar de Uyuni bolivien et le désert d’Atacama, au Chili. On y trouve pas loin de 70% des réserves mondiales.

    Ci-dessus, les sublimes paysages du désert d'Atacama © Diego Jimenez / Unsplash

     

    Parmi ces trois pays d’Amérique Latine, le Chili était, jusqu’en 2016, premier producteur mondial de lithium. Aujourd’hui c’est l’Australie qui fournit la majorité (plus de 50%) du lithium utilisé dans le monde.

    En l’Europe, le potentiel minier est « sous exploité », juge le journal Les Échos. Seule une mine portugaise y est aujourd’hui en activité dans le plus grand gisement d’Europe. Les 1200 tonnes de lithium qui en sont extraites chaque année sont utilisées dans l’industrie de… la céramique.

    A quand un lithium made in France ?

    Le Portugal est donc l’actuel Eldorado du lithium européen. Il n’est pourtant pas le seul pays d’Europe à posséder des gisements. Une trentaine ont été découverts, de l’Allemagne à la Serbie en passant par l’Espagne… Et même en France ! Ces gisements européens représentent environ 1% de la réserve mondiale.

    Une goutte dans un océan de métal blanc, qui explique que l’Europe importe aujourd’hui 100% de son lithium. Mais l’UE travaille à promouvoir la filière lithium, en finançant notamment des recherches de l’Institut européen d’innovation et de technologie. 

    En France, « l’or blanc » se trouve dans le Massif Central et en Alsace. Aujourd’hui, ces réserves ne sont pas exploitées… Mais pour combien de temps encore ? Le Bureau français de recherches géologiques et minières (BRGM) est confiant quant à l’avenir du lithium français. Selon les chercheurs, « la France pourrait être autonome pour le lithium avec un potentiel dépassant les 200 000 tonnes de lithium métal ». 

    La beauté du Massif Central français... Ici le Puy de Sancy

     

    Comment l’extrait-on et qui le transforme ?

    Pour trouver le précieux lithium, pas de secret : il faut le plus souvent forer. Une technique violente pour les sols qui défigure évidemment les paysages… Autre technique, utilisée dans le « triangle du lithium » : l’extraction par évaporation. A moindre coût, ce procédé très long (environ 9 mois) n’est pas non plus sans conséquences sur l’environnement. 

    En février 2019, le magazine National Geographic pointait déjà du doigt l’impact négatif de l’extraction du lithium sur le plus grand désert de sel du monde (« La ruée vers l’or blanc », n°233, 02/2019). En effet, comme l’a expliqué l’économiste et docteur en sciences sociales Ariel Slipak au site d’information Equal Times : 

    « L'évaporation provoque le dessèchement des nappes, entraînant des déséquilibres hydriques dans les régions concernées. »

    Quant à la transformation du métal en un produit raffiné (le carbonate de lithium), elle est assurée à près de 60 % par la Chine.

    Les bassins d’évaporation de lithium déforment le paysage féérique
    du Salar d'Uyuni, en Bolivie. 

     

    Mais alors, le lithium est-il ou non écologique ?

    Fin 2021, un projet de mine géante - toujours au Portugal, dans la région de Barroso - a été suspendu. Pourquoi ? Car la zone sur laquelle doit être construite la mine a été classée au Patrimoine agricole mondial en 2018. Or l’impact du projet Baroso, prévu pour 2026, sur l’écosystème et les paysages de cette région serait sans précédent… Cette mine à ciel ouvert devrait en effet faire 593 hectares… C’est plus de 24 fois le Champ de Mars à Paris.

    Même problématique en Serbie, où les habitants de la région de Loznica refusent de sacrifier leurs terres au profit de la transition verte. Le géant minier anglo-australien Rio Tinto y étudie les sols autour de ce qui pourrait être l’un des plus grands gisements de lithium du monde.

    Samedi 4 décembre 2020, des milliers de manifestants ont participé à des blocages dans toute la Serbie pour protester contre ce projet. Mais le gouvernement continue à ce jour de soutenir Rio Tinto qui n’a de cesse de mettre en avant les retombées économiques de l’exploitation du lithium.

    La révolte contre les mines en Loznica gronde également sous le hashtag #marssadrine.

     

    Autre « hic » montré du doigt par les écologistes : la production de lithium nécessiterait une quantité astronomique d’eau. C’est l’extraction par évaporation, utilisée dans des régions déjà arides, qui pose problème. Pour produire le lithium contenu dans la batterie du crossover Kona Electric de Hyundai, il faudrait 3840 litres d’eau. Ça fait beaucoup d’eau… Mais selon une étude de l’Institut allemand d’Helmholtz, il faut la même quantité pour produire 250 grammes de bœuf, 10 avocats ou la moitié d’un jean.  

    Les avocats, aussi gourmands en eau que le lithium ?
    Ce serait un coup dur pour les fans d'avocado toast... 

     

    Et le recyclage des batteries lithium-ion dans tout ça ? 

    En 2019, les batteries lithium-ion ont rapporté le prix Nobel de Chimie à ses inventeurs : John B. Goodenough, Stanley Whittingham et Akira Yoshino. Pourtant, elles sont loin de faire l’unanimité. La mobilité électrique c’est cool… Mais en fait ça ne serait pas du tout durable, puisque non recyclable. Et même si ça n'est totalement vraie, une chose est sûre : plusieurs composants d'une batterie au lithium (le lithium et cobalt notamment) peuvent se révéler nocifs pour l'environnement s’ils ne sont pas récupérés et correctement traités.

    Pour limiter l’impact des véhicules électriques sur l’environnement, il faut donc à tout prix développer le recyclage des batteries. Une pratique obligatoire en France et en Europe... Mais qui nécessite d'être développer pour répondre à la demande future.

    Face au Sénat, en juin 2019, Christel Bories, présidente du Comité stratégique de la filière Mines et Métallurgiques déclarait : 

    « Nous attendons de grandes quantités (de batterie de voiture électriques, NDLR), environ 50 000 tonnes, à recycler à partir de 2027, et plus encore sans doute en 2030. »

    La France a retroussé les manches, avec succès. Aujourd’hui dans l’Hexagone, le taux de recyclage des batteries au lithium atteint 65%. A l’échelle européenne, Bruxelles veut modifier la législation et imposer des batteries électriques « propres ».

    La Commission européenne souhaite qu’à partir du 1er juillet 2024, « seules les batteries industrielles rechargeables et les batteries de véhicules électriques pour lesquelles une déclaration relative à l'empreinte carbone a été établie » puissent être mises sur le marché européen.

    En gros, miser sur l’électrique (et donc le lithium) pour atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050 : oui, mais pas n’importe comment ! Même si le lithium n’est pas si rare que ça, l’Agence internationale de l’énergie prévient : les ventes de voitures électriques devraient augmenter de 60% d’ici à 2030… Une croissance qui multipliera par 4 la demande en « or blanc » d’ici 2025. Pas de doute à avoir : la ruée vers le lithium n’est donc pas prête de s’arrêter.  

     

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