2023 M04 21
Si la vision du bonheur a évolué depuis Aristote et Spinoza, force est de constater que la joie ou la félicité sont toujours au cœur des préoccupations des humains. Et encore plus les nouvelles générations qui mettent un point d’honneur à placer leur bien-être en haut de leur liste des priorités.
Ce thème a aussi passionné de nombreux chercheurs américains de l’université de Harvard aux États-Unis, qui ont lancé en 1938 la plus longue étude sur le bonheur jamais réalisée — elle dure depuis 85 ans. Durant toutes ces années, et tous les deux ans, les universitaires se sont succédé pour faire le point avec 724 personnes, d’abord adolescents puis adultes et enfin retraités, sur leurs vies personnelles et professionnelles, leurs états de santé ou encore leurs parcours. Les femmes puis les enfants ont également participé à cette étude.
L'amitié avant tout
L’une des conclusions est la suivante : le bonheur n’est pas lié à l’épanouissement personnel mais plutôt aux relations que l’on crée avec les autres. Des relations qui peuvent aussi avoir des effets bénéfiques sur la santé, aussi bien physique que mentale. Déjà en 2013, le professeur Robert Waldinger, qui a repris les commandes de cette vaste étude en 2003, écrivait :
« Le message le plus clair que nous retirons de cette étude est le suivant : de bonnes relations nous rendent plus heureux et en meilleure santé. »
Les conclusions de celle-ci sont désormais regroupées dans un ouvrage intitulé The Good Life : Les leçons de la plus longue étude scientifique du monde sur le bonheur qui a été rédigé par Robert Waldinger et Marc Schulz.
Comme nous passons une (grosse) partie de notre vie à travailler, le bonheur passe également par une forme d’épanouissement au boulot. Faut-il bien gagner sa vie pour être heureux ? Éviter d’avoir un « bullshit job » ? Avoir des responsabilités et une certaine forme de réussite ? Grimper dans l’échelle sociale ? Peut-être. Mais selon Robert Waldinger, la clé du bonheur au travail est ailleurs :
« L'étude a montré que de bonnes relations au travail ne rendent pas seulement plus heureux et en meilleure santé, mais rendent aussi plus productif, plus orienté vers la réussite et plus susceptible de garder le même emploi », indique le professeur lors d’une interview pour The Telegraph.
En résumé, Robert insiste sur le fait d’avoir des amis au travail et de nouer des relations qui dépassent le cadre professionnel, même au boulot. Par contre, et même si vous aimez votre métier, il est important de trouver le bon équilibre entre travail et vie privée pour éviter le surmenage ou que l'aspect pro de votre vie ne prenne le dessus.
S'il semble important de bien s’entendre avec ses collègues, le professeur se veut rassurant :
« La science montre que l'identité de ces personnes n'a pas d'importance : il peut s'agir d'un conjoint, d'un frère ou d'une sœur, mais aussi d'un parent, d'un collègue ou d'un ami. Et il n'y a pas de nombre idéal : certaines personnes ont besoin de beaucoup de contacts proches, d'autres se contentent de quelques-uns. Ce qui est important, c'est d'avoir dans sa vie des personnes avec lesquelles on se sent parfaitement à l'aise. »
À l’opposé, les personnes avec des métiers solitaires ou peu d’interactions avec leurs collègues — routiers, livreurs, gardiens de nuit, opérateurs téléphoniques, etc. — auraient plus de chance d’être malheureux. Pour Robert Waldinger, « la solitude tue. C’est aussi puissant que le tabagisme ou l’alcoolisme. » Des propos qui rejoignent ceux de Mickaël Mangot, docteur en économie, essayiste et directeur de l’Institut d’Économie du Bonheur.
What keeps people happy and healthy as they go through life? Excited to deliver this lecture will report on the longest study of adult life ever done and present scientific findings about human well-being throughout the lifespan.…https://t.co/s5S0kfgjDJ https://t.co/kNGq3AN7G1
— Robert Waldinger (@robertwaldinger) April 12, 2023
On est d’accord : le professeur donne parfois l’impression d’enfoncer des portes ouvertes. Il a aussi créé un business autour du bonheur — conférence TED Talks, livre, etc. — et il existe peu de données scientifiques entre le bonheur et le fait de vivre mieux, notamment parce que la notion de bonheur est relative. Aussi, l’étude porte sur des hommes blancs et leurs familles par la suite, mais elle exclut les personnes racisées et les minorités.
Ceci étant dit, il paraît essentiel, au regard de cette étude, de se poser les bonnes questions : est-ce mon travail m’apporte de la satisfaction ? Est-ce que mes relations au travail m’aident professionnellement au quotidien ? Et finalement, dois-je considérer le travail comme un élément essentiel à mon bonheur ? Autant de bonnes questions à se poser lors de votre prochaine pause café.