2021 M03 23
Vous avez déjà ressenti le besoin de raccrocher le téléphone et partir à la campagne ? Voire carrément d’aller au bout du monde pour faire un break. Chez LinkedIn, Dropbox ou Netflix, c’est la norme ; chacun prend ses vacances quand il en a besoin. Idem pour les 10 000 employés de la plateforme de recrutement Indeed, et pareil dans tout le groupe Virgin… Une libération sociale à l’américaine très éloignée de notre conception française, entre code du travail et acquis sociaux, mais qui fait doucement son trou chez nous.
Plus de 300 entreprises dans l’hexagone de secteurs et tailles variés l’ont en effet déjà adopté : autant la société d'assurance Alan que le livreur de repas PopChef ont passé ce cap et envoyé bazarder les décompte de jours et feuille de demande de congés. Bienvenue dans la vie de bureau… loin du bureau.
Alors comment ça marche ? Anikop, éditeur de logiciels installé près de Lyon, est passé aux congés illimités en janvier. Interrogé par France3 sur ce que ça change, son directeur Nicolas Perroud résume :
1) Plus besoin d’un aval, les congés sont « validés automatiquement »
2) Tout le monde peut partir où, quand et aussi longtemps qu’il veut, tant qu’il ou elle ne va « pas mettre en péril l'entreprise ou l'un de ses projets ». Ce qui signifie que ce qui était réglementé devient subjectif et discutable.
Si d’emblée vous craignez l’anarchie, c’est que ce système n’est pas pour vous. En vérité les abus sont aussi punis qu’ailleurs… sauf qu’ils n’arrivent pas. La confiance offerte par les recruteurs est rendue par les employés. Comme le décrit Nicolas Perroud, « chacun est responsable et autonome ».
Après LDLC et ses 32 heures par semaine, une autre entreprise de #Limonest, Anikop, propose une nouvelle innovation sociale au #travail : les congés illimités. → https://t.co/3pn4u1WIdJ #Économie pic.twitter.com/eWbQ3E5WzF
— Tribune de Lyon (@tribunedelyon) January 30, 2021
Chacun fait fait fait, c'qui lui plait plait plait
A la base de ce système, il y a une conception : celle que le travail n’est pas une accumulation de tâches à effectuer, parmi lesquelles l’acte de présence, mais bien des objectifs à atteindre fixés en accord avec sa direction en fonction des compétences et expertise de chacun. Soudain, il devient possible d’envisager que chacun fait ce qu’il veut comme il l’entend tant qu’il atteint ses objectifs sans compliquer ceux de son entourage.
Les règles sont alors remplacées par une charte où règnent la responsabilisation, la concertation et l’anticipation. Ainsi, on ne part pas sans prévenir ; on envisage ses dates avec ceux avec lesquels on partage des échéances. Un délai minimum peut même être établi pour assurer à chacun d'être au courant. Après la responsabilité et le dialogue vient le troisième pilier de ce système : la flexibilité. On est capable sinon de se remplacer, au moins de se compléter en entretenant une transversalité. Ainsi, vous pouvez faire un break quand vous voulez, ou garder un enfant malade sans incidence sur le reste de l’équipe. Pareil si vous préférez rallonger votre week-end d’un jour plutôt que de vous taper les bouchons sur la route du retour.
Et cela marche ? Côté employés, c’est un critère de plus en plus recherché et une façon de s’assurer qu’on ne vous embauche pas pour faire décor dans les bureaux. Généralement vus comme un bonus en qualité de vie (à vous la semaine de 4 jours !), les congés illimités assurent une ambiance relax et facilitent la récupération après une période intense. Une décontraction qui fait chuter l’absentéisme : à la Caisse Primaire d'Assurance-Maladie des Yvelines, les absence ont baissé d’un tiers depuis que chacun peut détermine seul ses plannings. C’est aussi un moyen de gérer facilement la naissance d’un enfant ou l’investissement dans des activités parallèles, bénévoles ou indépendantes.
Côté recruteur, cela a l’avantage d’envoyer par le fond toute une paperasse administrative coûteuse en temps et en énergie alors qu’une très faible minorité, seulement, abuse : sur les 70 employés d’Indeed France, on comptabilisait l’an dernier 7 jours de vacances de plus que les 5 semaines obligatoires. Car attention, si l’entreprise fait ce qui lui plaît, la loi s’applique toujours. Et c’est l’un des défauts.
Travailler plus pour gagner plus... de libertés
Si les congés illimités ont d’abord été testés chez IBM dans les années 90, ce n’est pas un hasard. En France, il est interdit d’offrir moins de 5 semaines de congés à un employé. Ce qui oblige à comptabiliser ce temps et à l’aménager. Sans quoi, votre direction risque les tribunaux. Un changement délicat dont la mise en place nécessite de passer par un coach, et va demander des échanges avec les équipes longs. Enfin, il existe un effet pervers : sans contrôle extérieur, il peut régner une compétition parfois galvanisante mais aussi épuisante. Personne ne vous forcera à... prendre des congés. De même, un employé qui démissionne ne pourra pas faire valoir qu'il a trop travaillé ni réclamer de contre-partie.
Comme avec le télétravail finalement, on assiste à une bascule. Longtemps les patrons craignaient qu’un employé distant soit un employé négligent, voire tire-au-flanc. Quand ils acceptent de "lâcher du mou", ils constatent que leus équipes se responsabilisent et s’impliquent. Parfois à leur propre détriment, comme l’a constaté le Guardian : les salariés bénéficiant de congés illimités prennent généralement moins de vacances que les autres… Mais sur ce point, nous nous en sortons mieux que nos voisins puisque la France est le pays qui garantit le plus grand nombre de congés : 31 par an. Sans doute l'une des raisons pour lesquelles le nombre de société envisageant de passer leurs congés en illimité ont augmenté de 60% l'an dernier.