Mégabassines : à quoi servent-elles et pourquoi divisent-elles autant ?

Le secteur agricole, qui consomme 45% de l’eau du pays, doit trouver des solutions pour l’irrigation des terres. Les « retenues de substitution », ou « mégabassines », permettent de récupérer de l’eau dans les nappes phréatiques l’hiver afin de la stocker et de l’utiliser durant l’été, notamment quand les réserves sont basses. Mais dans une période de sécheresse hivernale, elles sont au centre de tensions entre agriculteurs et militants écologiques.
  • Si vous avez suivi l’actualité des derniers jours, alors vous savez que dans les Deux-Sèvres, et plus précisément à Sainte-Soline, les forces de l’ordre et des opposants — principalement des militants écologiques — se sont affrontés le 25 mars. La raison, c'est une immense réserve d’eau de 10 hectares, aussi appelée « mégabassine » ou « retenues de substitution », en cours de construction. Au total, 16 doivent voir le jour dans la Sèvre niortaise pour permettre aux agriculteurs, et principalement aux cultures les plus gourmandes en eau comme le maïs, d’avoir un accès à l’eau durant l’été, et ce même en cas de restrictions ou de sécheresse. 

    Des réservoirs géants

    Le projet, porté par la Coop de l’eau 79, est sur le papier une idée qui fonctionne. Ces « mégabassines » — sont des zones de plusieurs hectares entourées par des digues et recouvertes par des bâches en plastique capable de stocker plusieurs milliers de mètres cubes d’eau — par exemple celle située à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres peut contenir 628 000 mètres cubes d’eau.

    Ces réservoirs géants dédiés à l’irrigation agricole se remplissent en pompant l’eau dans les nappes phréatiques quand celles-ci se remplissent, de novembre à mars. Et ce n’est pas forcément un problème quand il pleut beaucoup et que les nappes se mettent correctement à niveau. En puisant de l’eau quand celle-ci est en abondance durant l’hiver, ce système permet donc de faire des stocks extrêmement utiles durant l’été, quand le manque d’eau peut s’avérer problématique pour les cultures. Ces bassines ne sont pas soumises aux restrictions d’eau et les agriculteurs peuvent continuer d’irriguer même si les préfets interdisent d’utiliser l’eau. Mais ces mégabassines divisent aussi l’opinion, surtout dans le contexte actuel où le manque d’eau est critique et que les conséquences s'annoncent désastreuses pour cet été. 

    Pourquoi ces bassines divisent ?

    Plusieurs raisons. Le projet des 16 nouvelles bassines dans la Sèvre niortaise est porté par la Coop de l'Eau 79, une société privée qui regroupe 220 exploitants. Les opposants parlent donc d’une privatisation de l’eau puisque seulement les agriculteurs qui seront raccordés à ces bassines pourront utiliser cette eau. Et ils seront aussi les seuls à pouvoir continuer d’irriguer en cas de restrictions.

    D’après le protocole d’accord signé en 2018, les 16 bassines couvriront « 25% des exploitations agricoles du territoire concerné ». D’après la Confédération paysanne, contre l’implantation des bassines, « seuls 4 % des exploitants agricoles [de la région] vont être directement branchés aux bassines, et 10 % vont en profiter de manière indirecte », explique-t-elle à Libération.

    Pour les opposants, ces bassines vont creuser les inégalités. Comme l’écrit Greenpeace, « les mégabassines servent essentiellement à alimenter des productions très gourmandes en eau, comme le maïs, majoritairement destiné à l’élevage industriel. Elles servent avant tout les intérêts des acteurs agro-industriels, au détriment de solutions locales et paysannes. ».

    Une problématique également soulevée par Le Monde dans cet article :

    « Le sujet des mégabassines pose aussi la question du partage de la ressource. Douze exploitants par-ci, quatre par-là : seuls quelques-uns bénéficieraient de ces stockages. Si tous les professionnels utilisateurs d’eau pour leurs animaux ou pour leurs cultures maraîchères sont obligés de cotiser à la coopérative qui gère et répartit l’eau de ces réserves selon ses propres règles, seule une minorité d’entre eux sera alimentée ainsi. »

    Il y a donc le sentiment d’être lésé : les bassines ne serviront qu’à une poignée d’irrigants et favoriseraient les agro-cultures et les grandes exploitations, celles qui cultivent du maïs et des céréales, principalement pour l’exportation ou pour nourrir des animaux. Des grosses cultures — au détriment des maraîchers et des petits agriculteurs — qui ne serviraient pas la cause de la « souveraineté alimentaire » du pays ou de la région et qui ne s’inscrivent pas dans une logique locale de circuit court. « Ces projets seraient sans doute mieux vécus si les cultures irriguées étaient destinées à faire vivre la région », estime Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci, à l’Humanité. 

    De son côté, la Coop de l’Eau 79 précise que le profil des irrigants qui auront accès à l’eau des mégabassines est varié et qu’il comprend aussi des cultures qui travaillent en bio — même si Libération précise que « le profil de chaque bénéficiaire n’a pas été rendu public ». Sur France Bleu, Alexandre Agat, président des irrigants de Charente-Maritime, ajoute quant à lui que « parmi nos adhérents, nous avons des petits, des moyens et des gros. C'est le principe de mutualisation qui permet aux petits agriculteurs de bénéficier des moyens des gros. Tout le monde au même coût, et tout le monde avec de l’eau… » Selon lui, l’idée selon laquelle l’agro-industrie serait la seule à profiter de ce système est fausse et des exploitations familiales font aussi partie de la coopérative. 

    Re-penser l’agriculture

    Les mégabassines sont aussi décriées sur un aspect environnemental. Au lieu d’être au frais dans les nappes, l’eau se retrouve dehors, à ciel ouvert. Cela veut dire qu’elle est soumise à l’évaporation — les chiffres varient en fonction des études et des personnes, allant de 4% du volume total à 20%, voire 60%. Mais selon l’hydrologue Florence Habets, les données manquent pour connaître le taux réel d’évaporation à la surface des bassines. Cette eau stagnante pourrait aussi être plus propice au développement de cyanobactéries, d’algues vertes ou au risque de contamination. 

    Le problème est aussi plus large et porte sur le futur. Est-ce un modèle d’avenir pour nos cultures en France ? Pour le sénateur écologiste Daniel Breuiller, « le problème ne tient pas tant aux mégabassines qu’à notre modèle agricole. Construire de tels réservoirs pour maintenir sous assistance respiratoire la monoculture et le modèle de production intensif n’est pas pérenne. Si l’on veut garder de l’eau, et surtout la garder dans les sols, il va falloir investir massivement dans l’agroécologie, miser sur de petites surfaces et multiplier les différents types de cultures ».

    La question se pose d’autant plus que les périodes de canicule et de sécheresse sont amenées à se reproduire à l’avenir. Il faudra fatalement composer avec moins d'eau. Et donc trouver des solutions pour continuer à produire sur un modèle plus vertueux.

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