2021 M03 31
Pendant des décennies, les médias français et étrangers avaient du mal à écrire sur les personnes transgenres autrement que par le prisme de leurs corps, des aspects médicaux ou des faits divers, quand ils n’étaient pas carrément hostiles et transphobes. Alors même que la France fut en 2010 le premier pays au monde à retirer "le transsexualisme" (terminologie de l’époque, les personnes concernées lui préfèrent le terme de "transidentité") et les "troubles précoces de l’identité de genre" de la liste des affections psychiatriques, les stigmates étaient restés ancrés dans notre société.
Si bien que lorsque nous rencontrons Lexie, autrice d’un guide pratique sorti début mars aux éditions Marabout (Une Histoire de genres), elle précise d’emblée : "Les gens posent souvent les mêmes questions en boucle aux personnes transgenres, donc ça réveille inévitablement une certaine colère. Cette facette de mon travail doit exister, car elle est évidemment révélatrice d’un nombre important de dynamiques sociales. Je souhaitais donc produire un outil accessible, qui recueille en un seul endroit toute cette ‘pression à la pédagogie’."
Sur Instagram, où son compte @aggressively_trans compte pas loin de 60 000 abonnés, elle se fait plus légère, partageant pastilles éducatives et mèmes hilarants avec une assurance certaine. Encore étudiante, elle s’est réappropriée une vision hétéronormée des questions transgenres, en un joyeux bazar où fierté, histoire et intersectionnalité se côtoient. Et au travers de laquelle la réussite et l'aspect positif du militantisme transparaissent.
Optimisme immense
Bien que la pédagogie soit un sujet délicat pour certaines personnes transgenres, fatiguées de devoir constamment éduquer un public qui ne fait pas l’effort de le faire lui-même et exige des "explications", cela n’a pas l’air de déranger Marie Cau, qui fait preuve d’une patience à toute épreuve. La première maire transgenre de France, élue en mars 2020 à Tilloy-lez-Marchiennes, petit village du Nord, s’attache à défendre une image de "normalité", selon ses propres mots.
Sans étiquette politique, elle ne semble pas décidée à en mettre une sur son être : "Dans mon discours, je ne me revendique pas comme transgenre, à la mairie, j’essaie juste de mettre en avant des projets qui font consensus, qui font avancer les causes de chacun, pas simplement des personnes LGBT+."
Tout en ayant conscience que son image parle d’elle-même et que ses moindres gestes et décisions seront scrutés à l’aune de son identité, elle cultive un immense optimisme : "J’observe la transidentité depuis 55 ans, on est tout de même passé d’une vision négative, psychiatrisante, à une vision fantasmée et caricaturale, puis on arrive enfin à des représentations beaucoup plus positives. Depuis que j’ai été élue, je me suis en effet rendu compte que les gens étaient beaucoup plus bienveillants que ce que l’on pense, y compris à la campagne."
Se retrouver à la tête d’un village de 500 âmes, dont la petite mairie a peu de moyens "mais les problèmes d’une grande agglomération", a fait d’elle une célébrité non seulement locale, mais aussi nationale, voire internationale. Mais passée la curiosité médiatique de cette "première femme trans maire", il a fallu servir avec justesse ses administrés.
"Je me bats contre toutes les discriminations"
Laverne Cox, Elliot Page, Cailtyn Jenner, Chaz Bono, Andreja Pejić, Kye Allums, Kim Petras… La multiplication des role models, d’abord dans les milieux artistiques, plus ouverts, a prouvé au grand public que l’on pouvait vivre sa transidentité en étant heureux et épanoui. "La transidentité n’est pas un problème pour nous, personnes transgenres ; ce sont les autres qui ont un problème avec ça, et nous ont longtemps stigmatisés." Marie Cau résume avec beaucoup d’à-propos ce frein historique à la réussite, qui a limité les possibilités de carrière de milliers de gens discriminés non par leurs propres capacités, mais par l'image que l'on se faisait d'elles.
Heureusement, les mentalités sont en train de changer. En France, on se rappelle avec émotion de la très belle série documentaire éponyme retraçant la transition d’Océan, comédien à succès (son spectacle, La Lesbienne Invisible, fut un triomphe dès 2009). En mars dernier, il a notamment lancé, en partenariat avec l’association ACCEPTESS-T, le Fonds d’Aide Sociale Trans, une réserve d’argent destinée aux personnes transgenres frappées par la crise de la Covid-19.
Ingénieure, cheffe d’entreprise et désormais maire, Marie Cau a décidé cette semaine de se lancer dans la course à l’élection présidentielle de 2022. "La France suit les mêmes schémas de pensée, les mêmes logiciels depuis des décennies, ils ne fonctionnent plus, car on manque de bon sens (...). Je me bats contre toutes les discriminations. Il faut simplement combattre la haine par la bienveillance, en s’appuyant notamment sur les jeunes et les femmes", dit-elle.
#TransDayOfVisibility c’est aujourd’hui ! L’occasion de revoir ma série documentaire et d’aider les personnes trans les plus vulnérables via le #FAST fonds que j’ai initié avec @AcceptessT https://t.co/c1RlVSrqkN merci de relayer au maximum, la situation est plus que critique 🙏🏻 https://t.co/lEFqoruqop
— Océan (@ocean_officiel) March 31, 2020
Vie "normale" et moments de joie
"C’est important de se rendre compte que beaucoup de personnes transgenres mènent une vie 'normale'. La mienne n’a pas toujours été facile, mais on ne peut pas être réduit à un statut de victime permanente. Finalement, ma transidentité s’est révélée être une bénédiction, car j’ai le sentiment d’avoir eu un pied dans le monde masculin et l’autre dans le monde féminin. Et j’en suis très fière."
Lexie, pourtant plus militante, confirme : "Parler de transphobie est vital, mais il faut aussi évoquer les moments de joie. On ne les voit jamais car ils n’entrent pas dans la narration de pathos voulue par le regard cisgenre, qui cherche souvent l’anecdote et ne remet pas en question sa propre violence." Quand les personnes transgenres déjouent les clichés en affichant leur réussite, il serait de bon ton de les célébrer.