2023 M10 12
En 20 ans, les cas d’inondation ont augmenté de 134 % selon l’Organisation météorologique mondiale et le nombre de feux de forêt a doublé selon Global Forest Watch. Des catastrophes naturelles résultant du dérèglement climatique, comme les cyclones, tsunamis et sécheresses… Ces calamités font d’énormes dégâts matériels et humains mais leur fréquence pourrait bien avoir des répercussions inattendues, en particulier sur l'indépendance des femmes. C'est ce qu’ont dévoilé des chercheurs américains de l’Ohio State University.
« Dans certaines parties de l’Éthiopie, le mariage forcé a augmenté en moyenne de 119 % en 2022 durant la sécheresse la plus grave que le pays ait connu depuis 40 ans. »
Année noire / robe blanche
Après avoir étudié plus de 20 enquêtes menées dans des pays d’Afrique et d’Asie du Sud, les chercheurs estiment que la hausse des mariages forcés de filles et jeunes femmes (c’est-à-dire, l’union de deux personnes dont l’une n’a pas donné son libre consentement, ce qui est le cas de tous les mariages de mineurs) qui y est constatée pourrait bien être engendrée par l’appauvrissement de ces pays suite aux catastrophes naturelles.
L’impact insoupçonné des événements climatiques extrêmes sur les mariages forcés https://t.co/Wud4aShju0
— Le Monde (@lemondefr) September 17, 2023
« Dans certaines parties de l’Éthiopie (...), le mariage forcé a augmenté en moyenne de 119 % en 2022 durant la sécheresse la plus grave que le pays ait connu depuis 40 ans », décrit au Monde Violaine Gagnet, directrice de Plan International. Cette ONG défend les droits des enfants et l'égalité filles-garçons dans une cinquantaine de pays.
L’étude cite aussi une canicule ayant duré 30 jours d’affilée au Bangladesh où on a constaté par la suite plus de 50 % de hausse du nombre de mariages chez les jeunes filles de 11 à 14 ans. Les chercheurs constatent aussi qu’au Vietnam et dans les pays d’Afrique sub-saharienne le taux de mariage précoce est plus haut durant les périodes d’inondation et de sécheresse. Pourquoi cette pratique ? Pour l’argent bien sûr.
Fillette à vendre
Suivant une tradition millénaire, nombre de pays continuent de pratiquer le système de dot : une contrepartie financière versée par l’époux à la famille de l’épouse qui « perd » de la main d’œuvre en mariant sa fille. Une enquête de 2002 avait déjà relevé ce phénomène dans le sud de l’Afrique suite à une sécheresse notable, dès 1992. La dot avait permis de compenser la mauvaise récolte de l’année… Mais un autre phénomène est aussi remarqué.
Les catastrophes naturelles forcent les populations à fuir, aboutissant souvent dans des camps de réfugiés ou les violences de genres (et sexuelles) peuvent être fréquentes. C’est pourquoi certaines familles préfèrent trouver un époux rapidement que faire courir ce risque à leur enfant. Hélas, les mariages forcés ne sont pas exempts de ces abus ; au contraire : 50 % des filles mariées avant 15 ans en subissent. Les épouses ne peuvent pas non plus facilement refuser les rapports non protégés, ce qui les exposes aux MST dont le HIV.
Noces de sang
Les mariages forcés s’accompagnent très souvent d’une déscolarisation ; l’enfant devient liée à la maison de son mari et aux tâches domestiques explique Plan International, ce qui la condamne car « l’éducation des filles est le meilleur instrument de lutte contre la pauvreté » note l’ONG. Autre calamité relevée, ces mariages concédés engendrent fréquemment des grossesses précoces qui emportent les jeunes filles : c’est même la deuxième cause de mortalité des adolescentes dans le monde.
Chaque année, en moyenne, 12 millions de filles de moins de 18 ans sont mariées contre leur gré. L’Unicef estimait même qu’en 2020, 1 femme sur 5 de moins de 25 ans dans le monde avait été mariée avant d’être majeure.
Pour contrer ce phénomène, l’étude conclue devoir « trouver un moyen d’autonomiser les femmes et les jeunes filles en leur offrant une éducation et un contrôle financier qui leur permettront de prendre leurs propres décisions ». Plan International confirme : les familles ayant un niveau d’éducation plus haut ont moins recours à cette compensation. Et puisque ce sont les catastrophes climatiques qui accentuent difficultés et pauvreté, lutter pour sauver la planète allège la pression mise injustement sur les femmes.