2020 M11 12
Sorti le 1er octobre 2020 aux éditions du Seuil, le livre de Delphine Bauer et Ariane Puccini décrypte le médicament sous un prisme féministe. Après deux ans d'enquête, elles écrivent : "Il est grand temps de lancer l’alerte : de la conception du médicament à son utilisation, à tous les niveaux, des laboratoires aux institutions en passant par les prescripteurs, quand le patient est une patiente, c’est tout un système qui déraille."
« Dans le monde, 60% des signalement d'effets secondaires proviennent de femmes. »
Il faut dire que dans l’Hexagone, le médicament tient une place de choix : 9 consultations sur 10 se concluent par une prescription. L’objet de leur enquête est alors de « lever le voile », nous dit Ariane Puccini. « Au début de ce livre, nous présentons une étude réalisée par des chercheuses à partir de données récoltées par le Centre mondial de pharmacovigilance à Uppsala : dans le monde, 60% des signalement d'effets secondaires proviennent de femmes ; en France, 56% des signalements viennent de patientes. »
Lévothyrox, Androcur, Agréal, Essure, Dépakine, Distilbène, Médiator… À chaque fois, les femmes constituent la majorité des personnes concernées par les scandales pharmaceutiques des 60 dernières années.
Penser une médecine « sexospécifique »
Rapportant les propos de médecins et d’expertes mais surtout des patientes concernées, Mauvais traitements insiste sur le fait que nos médicaments ne sont pas neutres, mais qu’ils ont au contraire une efficacité différente selon qu’on est de sexe masculin ou féminin. Le genre aussi peut modifier la façon dont un médicament sera consommé ou prescrit. Les femmes consomment par exemple plus d’antidépresseurs et deviennent donc plus susceptibles d’avoir des effets secondaires, ces antidépresseurs ayant en plus été majoritairement testés sur des corps masculins et non féminins… « Entre 1997 et 2001, 80% des médicaments retirés du marché posaient plus de problèmes aux femmes qu’aux hommes », note dans un rapport la Cour des comptes américaine.
Pour pallier ce déséquilibre, les deux autrices font le constat de l’importance des femmes dans la médecine. « Tout le monde ne peut pas se payer une psychothérapie, précise Delphine Bauer. Alors on se dirige vers des médicaments, qui n’ont pas été fabriqués pour les femmes. Des politiques publiques de prévention doivent être mises en place. » Ariane Puccini poursuit : « Il est important d’avoir des femmes dans la médecine. Les femmes se posent des questions que les hommes ne se posent pas, même si elles n’ont pas forcément toutes une approche féministe. C’est un long chemin encore à prendre. »
Lanceuses d’alerte
Mauvais traitements se lit alors comme un guide pour mieux comprendre ce qui se joue derrière ces petites pilules, à tous les niveaux : les femmes sont soit oubliées des essais cliniques ou sous-représentées ; elles sont la cible d’un marketing genré pour des médicaments dont elles n’ont pas forcément besoin en fonction de certaines injonctions sociales liées à la minceur, à la ménopause ou encore à la sexualité ; leurs douleurs ne sont pas assez écoutées ni reconnues.
« Mais cette démarche ne pouvait pas aller sans mettre en lumière les lanceuses d’alerte qui ont œuvré sans relâche pour faire connaître les méfaits du Mediator, de la Dépakine ou encore de l’Androcur… Ces femmes, Irène Frachon, Marine Martin ou Emmanuelle Huet-Mignaton font réellement bouger les lignes en réalisant un travail de fourmi au sein de leurs associations et sont devenues des expertes de leur sujet », tient à préciser Delphine Bauer.
Comme elles le démontrent, la santé est une question de société dont les femmes se saisissent de plus en plus, que ce soit à l’échelle individuelle, de la recherche ou des institutions. « Les informations collectées dans l'enquête doivent participer à cette réflexion, pour qu'elles imaginent et défendent un système de soins plus égalitaire, conclut Ariane Puccini. Savoir, c'est pouvoir. »