2020 M10 6
À Bishkek, la capitale kirghize, une dizaine de jeunes femmes veulent entrer dans la légende en lançant en orbite le premier satellite du pays. Le modèle choisi, pour des raisons de budget et de faisabilité, est un cubesat (ou « nanosat »), qui pèsera moins de 1,33 kg et mesurera 10x10x10 cm. Pas d’Elon Musk et encore moins de Jeff Bezos, ici les références s’appellent Valentina Terechkova, Svetlana Savitskaya, Sally Ride, Mae Jameson ou encore Chiaki Mukai. Toutes ont marqué l’histoire de la conquête spatiale.
Malgré la pandémie mondiale, le projet continue d’exister grâce à la motivation de chacune. Cela fait maintenant quatre mois qu’elles travaillent depuis leur logement, perfectionnant leurs connaissances en électronique, en mécanique spatiale ou encore en environnement spatial. Parce qu’au départ, elles ne savaient rien, ou presque. Adolescentes pour certaines, jeunes diplômées pour d’autres, toutes les participantes ont été recrutées par le média indépendant Kloop, à l’initiative du projet, avec comme seuls impératifs d’être une femme et de ne rien y connaître, ou presque.
À l’époque, en mars 2018, 300 curieuses répondent à l’annonce postée en ligne sur les réseaux, dont une dizaine constitue aujourd’hui le noyau central. Ce qui n’était au départ que quelques ateliers hebdomadaires s’est transformé en véritable « école de construction de satellite » qui propose, gratuitement, des cours (électronique, programmation, soudure, etc.) à toutes, sans limite d’âge ni de formation.
Des survivantes
Parmi celles qui dirigent maintenant l’auto-proclamé « programme spatial kirghize », il y a Zhibek, 25 ans. Diplômée en économie, finances et mathématique, elle n’aspire pas à travailler dans ce domaine qui l’ennuie. De toute façon, au Kirghizistan, les femmes sont attendues à la maison, ou dans des métiers peu valorisants. « Je ne suis pas représentative, dit-elle. J'ai grandi dans une famille libérale, jamais discriminée par mes parents. Les femmes ne sont pas prises au sérieux ici. S'il y a un problème à résoudre, on ne se tournera pas vers une femme. C'est une société très patriarcale. »
Zhibek n’a pourtant pas échappé aux violences. Lors d’une conférence TedX donnée à Almaty, au Kazakhstan, le 17 novembre 2018, elle livre pour la première fois son histoire en public : « Mon ex m’a un jour dit qu’une femme ne pouvait pas être aussi intelligente qu’un homme ; que nous étions différents et que c’est pour cela que les femmes devaient obéir aux hommes. » Elle détaille ensuite sa relation abusive et les menaces de mort après la rupture. « La dernière fois que je l’ai vu a été lorsqu’il a refusé de me laisser sortir de l’immeuble pendant plus de six heures durant lesquelles il m’a agressée physiquement. »
La tête dans les étoiles, l’avenir sur Terre
Son histoire n’a rien d’unique ou d’extraordinaire. Au Kirghizistan, peu de femmes obtiennent un diplôme, très peu poursuivent une carrière. Mais la situation évolue. Devenue une personnalité féministe en Asie centrale, Zhibek est régulièrement invitée par des organisations internationales comme ONU Femmes ou Tech Women pour partager son expérience. Tout comme Alina, 20 ans, à la tête du programme avec Zhibek, qui a été classée parmi les femmes influentes de la BBC en 2018.
Si le satellite est en cours de construction, et l’école un temps à l’arrêt à cause du coronavirus, l’histoire de ces femmes qui construisent le premier satellite de leur pays continue de susciter des vocations. Alors que la plupart se voient ingénieures ou programmeuses, Begayem, membre depuis le début, rêve à 18 ans de devenir la première femmes kirghize astronaute.