Bonne nuit les petits : tour d'horizon des villes qui ont dit NON à l’éclairage nocturne

Mieux dormir, réduire les consommations énergétiques et respecter la biodiversité, tout ça en appuyant sur un bouton ? Oui, en éteignant la lumière. Promenade nocturne dans ces villes qui ont coupé ou baissé l’éclairage public.
  • "Il va faire tout noir !"

    Mars 2020, la France découvre le confinement. Partout dans le pays, des maires profitent de l’interdiction de sortir pour tenter une expérience : couper l’éclairage public la nuit. Après tout, il n’y a personne dehors, hormis les soignants, alors à quoi bon laisser les réverbères allumés ? Aussitôt dit, aussitôt fait : de Saint-Méloir-des-Bois, dans les Côtes-d’Armor, à Grasse, dans les Alpes-Maritimes, et de Collioure, dans les Pyrénées-Orientales, à Ham, dans la Somme, les disjoncteurs sautent. Clac ! L’enjeu est d’abord de réduire les dépenses publiques – puisque l’éclairage représente parfois 30 à 40% du budget d’une ville. Mais d’autres observations apparaissent alors à la lueur de la lune : la lumière qui nous rassure ne prend elle pas une place trop importante ?

    Bien sûr, dans l’esprit des citadins, l’éclairage public limite les regroupements et les risques la nuit au même titre qu’il sécurise les mobilités (les accidents augmentent durant la période hivernale, plus obscure). Pourtant cette lumière artificielle dérange l’ordre naturel.

    D’abord chez les animaux, qu’elle chasse peu importe leur taille, mais aussi chez les humains en dérangeant les cycles de sommeil. Or, l’éclairage public a connu un développement sans précédent au cours des dernières années : toutes les grandes villes ont remplacé leurs réverbères par des LED, lampes plus lumineuses avec moins d’énergie. La ville de Lille a ainsi pu réduire de moitié sa consommation en 15 ans. Un double avantage qui a conduit les communes a augmenter le nombre de points d’éclairage.

    Éteins, on n’y voit plus rien.

    D’après l’ANPCEN, association environnementale de défense du ciel et de la nuit, la quantité de lumière nocturne émise a pratiquement doublé en 20 ans à peine. L’ADEME, qui supervise la transition énergétique du pays, rajoute que l’éclairage public émet 670 000 tonnes de CO2 chaque année, ce qui n’est pas un moindre mal en période de plan climatique. Ce n’est pas un hasard si cette vidéo de fans de parkour éteignant les vitrines a fait un carton sur les réseaux : nombreux sont ceux qui y voient un gaspillage. Afin que cesse cette pollution éblouissante, des groupes comme Extinction Rebellion, Greenpeace et Youth for Climate passent à l'action pour revoir le ciel. Tous sont poussés par une idée simple et belle : l'envie de revoir les étoiles, noyées dans le blanc des lampadaires.

    « La lumière est de moins en moins chère, donc les villes augmentent leurs points d’éclairage, et la pollution lumineuse avec eux... »

    Eteindre une fois la voiture passée. Alors, basta, on éteint la lumière ? Oui, mais pas n’importe où et sûrement pas n’importe comment. C’est là que la ville de Lyon fait figure de guide. Organisateur de la Fête des lumières aux presque 2 million de visiteurs et berceau des Frères du même nom, la capitale des Gaules a été pionnière avec son « plan lumière » dès 1989, pour organiser à l’échelle de la ville les points et axes illuminés de nuit. Aujourd’hui, on comptabilise 370 monuments et bâtiments (publics ou privés) sous les feux des projecteurs. Trente ans plus tard, le conseil municipal fait marche arrière et vote l’installation de réverbères intelligents qui réduisent la leur luminosité quand on n’en a pas besoin.

    Adjoint au maire de Lyon, Sylvain Godinot nous a expliqué leur fonctionnement : « Ces réverbères détectent la présence de voiture, grâce à des capteurs sur leur mat. Dans ce cas-là, la puissance lumineuse augmente jusqu’à 15 lux et réduit une fois la voiture passée pour repasser en mode "piéton" avec un éclairage à 5-10 lux. »

    Ainsi, l’éclairage est au plus bas tant qu’il n’y a pas de besoin, ce qui permet un gain certain : « dans les quartiers pilotes, on a constaté qu’ils restaient 90 % du temps en mode piéton » au lieu d’éclairer à fond toute la nuit, toute l’année. L’économie d’énergie est flagrante avec « 600 000 kWh gagnés par an ». Réduire, ce n’est pas rien : « Notre facture d’électricité pour l’éclairage urbain est de l’ordre de 3 à 5 millions d’euros pour une facture totale d’énergie de 15 à 17 millions [par an] ». Mais alors pourquoi ne pas éteindre complètement ? « C’est quasiment impossible, car le trafic est trop important. Pour des raisons de sécurité, donc. On s’est alors dit, "si on ne peut éteindre, on peut réduire", et c’est ce qu’on fait. »

    D’abord limitées à une zone test, Lyon a voté l’extension de ces installations des deux côtés du Rhône et de la Saône. « On a plusieurs sites : le 5e arrondissement – où avait lieu une expérimentation depuis 7 ans – et les 3e et 8e arrondissement qui se touchent. Le critère principal a été de choisir des zones résidentielles pour maximiser les économies d’énergie. » En tout, 1600 réverbères vont devenir "intelligents". Mais le plan ne s’arrête pas là : Lyon compte éteindre ses parcs et jardins pour soutenir la biodiversité.

    Avancer dans le noir

    Sylvain Godinot en est bien conscient, l’enjeu va plus loin qu’une question d’économies budgétaires. La récente vidéo d’un castor se promenant dans sa ville a rappelé que même les grandes métropoles avaient leur biodiversité. Mais si les communes rurales ont coupé la lumière pour que les chauves-souris reviennent, on imagine difficilement cette ambition à Lyon. A tort : « Il ne faut pas voir que l’hypercentre de Lyon, nous avons aussi la Tête d’Or, le domaine de Lacroix-Laval, les berges du Rhône et de la Saône qui sont des couloirs naturels... » rappelle l’élu, avant d’ajouter : « On a des renards, des martres, fouines etc, et des chauve-souris, bref des espèces qui sont sensibles à la lumière. » C’est là que commence la réflexion autour de la trame noire.

    Longtemps, il y a eu « un enjeu esthétique, celui de la beauté de la ville de nuit. Nous nous sommes muni d’un Plan lumière depuis 1989 dans le but était de créer un paysage nocturne, en illuminant certains bâtiments. (...) Aujourd’hui, la ville veut cartographier des zones d’activité publique et privée pour mettre en place des réservoir de tranquillité pour les espèces, et des corridors pour les relier. » Un changement de paradigme donc, qui insère le respect de l’environnement dans les choix de sécurité, de budget, d’aménagement… Sur le même exemple, Lille a installé des lumières réduites couleur ambre dans la zone de la Citadelle pour favoriser la vie nocturne sans oublier ses piétons. Voilà que se dessine l’avenir des villes de nuit. Un futur qui croise les faisceaux des projecteurs et la lueur des étoiles.

    Crédit photo de Lyon : (c) Michel Djaoui

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