Covid-19 : l'inclusion passera-t-elle par les masques transparents ?

À Grenoble ou en Corse, APF France Handicap a fourni certaines localités en masques dits "inclusifs", fabriqués par leurs soins. Mais on est encore loin des chiffres promis début août par la secrétaire d’État. Alors que des entreprises privées se mettent sur le créneau, la révolution des masques transparents aura-t-elle lieu ?

Autant ne pas se voiler la face (sans mauvais jeu de mots) : le port du masque est parti pour durer. Généralisé en Asie depuis des années pour lutter contre infections et pollutions diverses (et surtout protéger les autres), il ne devrait pas disparaître de sitôt en Europe, particulièrement en intérieur, et ce même en cas de vaccin efficace contre le Covid-19. Autant donc s’y habituer.

Cependant, en faire un simple "fashion statement", un banal accessoire de mode - pour les modèles en tissu, laisserait sur le bas-côté toute une partie de la population. Personnes âgées, enfants en bas-âge, concitoyens sourds ou malentendants… une frange non négligeable du pays dépend de la lecture labiale pour avoir des interactions satisfaisantes avec leurs congénères. Les versions chirurgicales ou en tissu ne sont donc pas une option.

Les visières étant peu sûres, plusieurs entreprises privées et organismes publics ont ainsi, dès le début de la pandémie, réfléchi à la fabrication de masques efficaces laissant toutefois apparaître les lèvres, afin que cette nouvelle contrainte de consommation ne crée pas un handicap supplémentaire.

En France, seuls quatre fabricants de masques transparents ont ainsi reçu une homologation de la Direction Générale de l'Armement, de l’Anses et de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé : le modèle Beethoven, de l’entreprise Where the daffodils grow, le Masque Sourire, conçu par Odiora, les bien-nommés Masques Transparents, de Lux & Elles, et enfin le modèle Masque Inclusif, imaginé par Anissa Mekrabech et désormais fabriqué par APF France Handicap.

Masque transparent = sourire apparent

S’il est possible de se procurer certains de ces modèles à des prix variables sur les sites web des entreprises susmentionnées, côté administration publique (qui se doit pourtant de donner l’exemple), ça coince un peu. La secrétaire d’État chargée des Personnes Handicapées, Sophie Cluzel, et le ministre de l’Éducation Nationale, Jean-Michel Blanquer, avaient annoncé fin août la distribution de 500 000 masques transparents par mois au personnel enseignant, mais cette promesse est à la traîne, les rectorats n’ayant pas encore fait remonter les réels besoins. Il est à noter que les enseignants auprès d’élèves en situation de handicap devaient être prioritaires. Ils attendent toujours.

De fait, les initiatives publiques éclosent à une échelle beaucoup plus locale. À Grenoble, où la municipalité devait justement fêter le Mois de l’accessibilité en novembre, on a sauté sur l’occasion pour équiper certains fonctionnaires. Agents Territoriaux Spécialisés des Écoles Maternelles (ATSEM) de l’école Paul Bert, personnel du Conservatoire de musique, employés du Muséum d'Histoire Naturelle sont ainsi masqués « avec sourire apparent » depuis quelques semaines grâce à APF France Handicap, dont l'usine de fabrication est située à Échirolles, dans la banlieue sud de la cité iséroise.

« Dès le mois de mai, une élue locale a tenté de fabriquer des masques pour le personnel, mais trop de buée restait sur le plastique, explique auprès des Éclaireurs Luis Beltran-Lopez, conseiller municipal (EELV) de la Ville de Grenoble, délégué au Handicap et à l’Accessibilité. Nous avons donc commandé 610 masques transparents à APF, fabriqués avec des matériaux beaucoup plus performants, en circuit local et au sein d'une entreprise adaptée. » (50% des employés sont en situation de handicap). Le Fonds pour l'Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique a financé l’opération à 80%.

En Corse, l'Agence Régionale de Santé a également distribué, le 20 octobre à Ajaccio, 2000 masques inclusifs d’APF, notamment à des associations œuvrant dans le domaine du handicap, en attendant de pouvoir équiper les personnels d’EHPAD et les profs. À Pont-à-Marcq, dans le Nord, plusieurs associations spécialisées ont elles aussi reçu une cargaison de masques transparents. Cependant, si ces derniers sont lavables et réutilisables entre une vingtaine et une soixantaine de fois selon les versions, ils ont par définition une durée de vie limitée. Il faudra donc les remplacer assez rapidement.

Du côté de Grenoble, la Ville souhaite donc multiplier les commandes au moins par dix. Mais avant de toucher le grand public, les masques resteront à destination du personnel en contact avec les personnes malentendantes ou avec le troisième âge.

« On ne se rend pas compte du nombre de personnes ayant besoin au quotidien de la lecture labiale (Luis Beltran-Lopez, conseiller municipal à Grenoble) »

« Nous sommes encore en phase d’expérimentation »

Tout a cependant commencé grâce à une interpellation citoyenne. De simples e-mails d’administrés s’inquiétant de l’inclusivité des populations handicapées en temps de pandémie masquée : « On ne se rend pas compte du nombre de personnes ayant besoin au quotidien de la lecture labiale, assure Luis Beltran-Lopez. Même pour le grand public, le sourire exprime tellement de choses, on ne peut pas faire comme si cela ne changeait rien, de ne plus jamais voir le visage de nos interlocuteurs ». Ce prof de langues vivantes en lycée sait de quoi il parle, lui qui passe des heures masqué devant ses élèves.

« Nous sommes en phase d’expérimentation, mais si cet objet de santé est là pour rester dans notre quotidien, autant adopter le masque du futur », conclut-il, convaincu. Si le Mois de l’accessibilité a été annulée à Grenoble à cause de la pandémie de Covid, on tente de ne pas oublier que la célébration du handicap ne se limite pas à une fête éphémère.

Valérie Dodge, directrice d'APF Entreprise à Echirolles, et Luis Beltran-Lopez, conseiller délégué au Handicap et à l'Accessibilité.

Du côté des fabricants privés de masques transparents dont les modèles ont eux aussi été déclarés conformes par la DGA, on avance. Lux & Elles s’est par exemple rapprochée de l’association limougeaude LSF PI TOUS, qui utilise la Langue des Signes Française « comme un moyen thérapeutique ». 10 000 masques leur ont été fournis jusqu’ici. L’entreprise limousine reçoit désormais des demandes des milieux hospitalier, médico-social et éducatif, désireux d'accélérer le lent processus. À croire que le masque transparent est bel et bien une solution pour tous sur le long terme.

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