2021 M03 5
Attention, chef-d’œuvre en approche, encensé par une presse française unanime et diffusé dès le lundi 22 mars sur CANAL+. Après un incroyable succès au Royaume-Uni, It's a Sin, la nouvelle mini-série de Russell T Davies (Queer As Folk, Years and Years) revient sur la jeunesse du scénariste, décrivant par le menu la décennie durant laquelle apparut le sida, à partir du début des années 1980, à Londres. On n’est pas prêt d’oublier les personnages de Ritchie, Roscoe, Colin et leurs compagnons de fêtes et d’infortune, tant ils parviennent à nous bouleverser en cinq épisodes tirés au cordeau.
Flamboyante et déchirante, extatique et universelle, festive et grave, la série It’s a Sin peut également être abordée comme une œuvre contemporaine d’utilité publique, un petit traité très pédagogique sur l’ignorance des masses et des pouvoirs publics, toutes époques confondues. Oui, même en 2020… D’une part, parce que les œuvres mainstream et équilibrées traitant des "années sida" ne sont pas si nombreuses que ça (The Normal Heart, Angels in America, 120 Battements par Minute, How to Survive a Plague, Shuga…). D’autre part parce que, malgré les progrès faits par la médecine, quarante ans plus tard, l’épidémie, devenue mondiale, est loin d’être éradiquée.
En effet, une vingtaine de Français par jour sont encore diagnostiqués séropositifs, selon une étude réalisée par l’UNICEF en 2015. La même étude révélait alors que "près d’un étudiant français sur deux n’a pas systématiquement recours au préservatif lors de rapports sexuels, et 15% avouent ne jamais en utiliser". Et ce, quand bien même la majorité de la population a désormais évacué la stigmatisation initiale envers les personnes homosexuelles, en se rendant compte que le VIH pouvait toucher tout le monde. It’s a Sin est donc à même d’agir comme une piqûre de rappel sur les jeunes générations.
Porter un regard éclairé sur les bonnes pratiques
Comme le rappelle le militant gay britannique Gus Cairns, "Nous étions perdus à cet âge-là. Mais mûrir, c’est aussi accepter notre jeunesse et avoir de la compassion pour celle des autres. La série 'It’s a Sin' nous invite à comprendre ces jeunes hommes, dont certains sont morts trop tôt pour trouver leur propre voie". Rescapé, aujourd’hui coordinateur Europe de la sensibilisation à la PrEP (ce traitement préventif aux résultats spectaculaires), il espère que les nouvelles générations s’identifieront à celle qui découvrit, au fur et à mesure que le sida avançait, les ravages d’une nouvelle maladie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les tâtonnements actuels face à l’épidémie de COVID-19 rappelle à certains sexagénaires, militants ou non, l’avènement du sida dans les années 80.
Au-delà du devoir de mémoire, ravivé récemment à Paris par le débat sur l’ouverture d’un Centre d’archives LGBT+, essentiel à la conservation de textes et d’images historiques, il s’agit de ne pas répéter les erreurs du passé, en portant notamment un regard éclairé sur les bonnes pratiques. It’s a Sin rappelle que c’est également la honte de soi, le conservatisme et l’homophobie des familles respectives qui ont causé énormément de dégâts. Le titre de la série tient son nom d’un morceau des Pet Shop Boys de 1987, reprenant les attaques des hommes politiques conservateurs contre les relations homosexuelles ("C’est un péché").
Les années ignorantes où le VIH était considéré comme un "cancer gay" étant derrière nous, il est important pour les jeunes générations de comprendre d’où viennent les combats d’associations comme Act-Up (aperçue à plusieurs reprises dans la série britannique), jugés radicaux sous le prisme actuel, mais tenants dès les années 80 d’un discours novateur sur le "safe sex" et les bonnes pratiques.
Le combat contre le sida est encore éminemment d'actualité
Une vision parfois binaire, qui a d’ailleurs agacé des militants historiques américains, qui se battaient dès 1985 pour l’adoption du préservatif "Où est le safe sex dans cette narration ? Je me suis senti insulté lorsque le personnage de Richie refuse d’utiliser un préservatif et ne veut pas faire l’amour avec son petit ami, de peur de le contaminer", expliquait, il y a quelques jours dans un post Facebook grandement relayé, le légendaire militant d’Act Up Peter Staley, lui aussi partisan de la PrEP, via son association Prep4All. "Ça ne m’est jamais arrivé de nier mon amour de peur de me faire infecter ou d’infecter."
Pourtant, il semblerait que le combat pour des pratiques plus sûres soit encore éminemment d’actualité : "Pour sensibiliser le jeune public à cette période très sombre, la série opte pour une représentation très crue des conséquences du VIH et sa perception à l’époque comme une maladie de pestiférés, que l’on risquerait d’attraper rien qu’en touchant un malade", écrivait-on sur myCANAL début mars en prévision de la diffusion, inédite en France. Malgré les avancées de la science et l’évolution positive de l’opinion publique, malgré l’avènement de la sérofierté et la baisse des discriminations liées à la séropositivité, la combinaison d’une peur universelle de tomber malade et d’une conscience accrue de cette histoire tragique devrait faire réagir, y compris en France.
En montrant les dégâts causés par la désinformation générale de l’époque, It’s a Sin devrait devenir le vecteur du renouvellement d’une prise de conscience. La série, qui montre par exemple très clairement l’arrivée des tests sanguins de dépistage dans les années 80 au Royaume-Uni, a déjà provoqué un afflux massif de Britanniques dans les centres de soin, les hôpitaux et cliniques. The Terrence Higgins Trust, un fonds de solidarité qui se bat contre le sida, a même vu ses dons augmenter de 30% après la diffusion de la série. Objet culturel incontournable et marquant, It's a Sin est donc aussi un miroir tendu à notre époque : aux nouvelles générations de s'approprier désormais ce combat toujours d'actualité.
It's a Sin, disponible sur CANAL+ et myCANAL.