2020 M10 17
Les Eclaireurs : Vous avez choisi l’auto-édition pour T’as pas le sida j’espère ?!. Était-ce compliqué de trouver un éditeur pour sortir un livre sur le VIH en 2020 ?
Fred Colby : J’ai tenté le cheminement classique mais j’ai pris pas mal de refus. Le sujet du VIH et de la sexualité gay, c’est une niche. L’auto-édition permet une liberté totale au niveau de mon projet, sans aucune censure.
Les Eclaireurs : Vous tenez un blog où vous témoignez depuis 2018 de la vie d’un homme gay séropositif. Ce livre est-il un prolongement de ce travail ?
Fred Colby : Tout à fait. J’avais envie d’exprimer ce que ça voulait dire de vivre avec le VIH aujourd’hui, sous une forme plus palpable que le web. Une personne diagnostiquée, si elle va dans Google et qu’elle tape « SIDA », elle va tomber sur une imagerie datée des années 1990 avec des photos anxiogènes. En termes de représentativité, il y a un décalage entre les avancées thérapeutiques et les représentations dans les médias et les fictions. Le devoir de mémoire n’empêche pas de dire ce qu’est le VIH est en 2020.
« Nous avons une espérance de vie normale, mais il y a un avant et un après diagnostic. »
Les Eclaireurs : Vous l’abordez longuement dans le livre, l’espérance de vie d’une personne avec le VIH n’est en effet pas plus courte qu’une autre.
Fred Colby : Une personne séropositive sous traitement ne transmet pas le VIH et nous avons une espérance de vie normale. Mais il y a un avant et un après diagnostic. Quand tu es gay multipartenaires, comme moi, tu vis avec une peur constante. Je me testais tous les trois mois. Je pensais que ça n’arrivait qu’aux autres.
Les Eclaireurs : Vous avez été diagnostiqué à 28 ans. Cela fait maintenant 8 ans que vous êtes activiste, mais le chemin a été long ?
Fred Colby : J’ai fait une dépression à cause des effets secondaires d’un traitement. Les premières années ont été très compliquées et le basculement s’est fait grâce au milieu associatif, notamment AIDES qui a une posture de non-jugement. Quand tu es séropo, les autres personnes séropositives sont invisibles. C’est ma démarche de dire : « On est là. » C’est là tout le paradoxe : en 2020, on peut vivre normalement, si on est dépisté tôt, or il y a un tabou encore pire que dans les années 1990.
Les Eclaireurs : Vous militez d’ailleurs pour une politique de dépistage, plutôt que la « stratégie de la peur ».
Fred Colby : Le stade SIDA se développe chez les personnes qui ignorent qu’elles sont séropositives ; on estime qu’elles sont 25 000 en France. Quand on est dépisté on ne meurt pas du VIH. C’est ce que j’essaye de faire sortir de ce livre.
Les Eclaireurs : Le titre du livre, T’as pas le SIDA j’espère ?!, c'est une phrase prononcée par votre belle-sœur et que vous qualifiez de sérophobe. Pourquoi ?
Fred Colby : Je venais d’apprendre que j’étais séropo, je n’avais pas encore digéré la nouvelle. La violence de cette phrase représente toute l’ignorance des gens. J’étais submergé par l’émotion et la culpabilisation. Aujourd’hui, j’aurais un discours construit en réponse : je n’ai pas le SIDA mais je suis séropositif pour le VIH. La sérophobie peut aussi être institutionnelle. Des jobs nous sont interdits. Ou encore AIDES avait établi en 2015 qu’un tiers des dentistes refusaient des personnes séropositives.
Les Eclaireurs : En 2018, vous racontez être allé à la Pride de Paris avec un t-shirt « séropo et fier ». Le début de ce que vous appelez la « sérofierté ». L’avez-vous senti comme quelque chose de subversif ?
Fred Colby : Complètement. Je suis un peu provoc mais c’était flippant de prendre le métro avec ce t-shirt. Sur place, c’était galvanisant, intense et beau. C’était l’incarnation de mon combat, pour engager la discussion. Je commence à être repris, mais ça reste mal compris, surtout par celles et ceux qui prennent ça au premier degré. La fierté, pour moi, est le contraire de la honte. Je n’ai aucune raison de baisser la tête parce que je suis séropo. C’est une fierté au sens politique.
Le blog de Fred Colby : https://fred-colby.com/
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