Des chercheurs détournent un satellite pour sauver les manchots de l’extinction

Le système leur a permis de découvrir où se cachaient non pas 1, mais 11 colonies de manchots empereurs. Objectif de la traque : les protéger.
  • Lorsqu’on parle de biodiversité et de réchauffement climatique, on évoque encore trop rarement le cas très préoccupant des manchots. Pourtant, sur la vingtaine d’espèces de ces animaux emblématiques du continent Antarctique, les deux tiers sont directement menacés d’extinction. C’est pour alerter sur cette situation qu’a été créé la Journée mondiale des manchots.

    Manchot papou, manchot Adélie, ou le célèbre manchot empereur... tous ces oiseaux marins ont en commun un environnement : la banquise dont dépendent leur alimentation, leur habitat et leur reproduction. Or, cette étendue d’eau de mer gelée de quelques mètres d’épaisseur (par opposition avec le continent lui-même qui est une calotte d’eau douce glacée de plus d’un 1 kilomètre d’épaisseur) fond beaucoup trop vite. « Si plusieurs facteurs sont en cause, expliquait à GreenPeace le professeur d’écologie Heather Lynch, tous les éléments en notre possession désignent le changement climatique comme le principal responsable de ces bouleversements. »

    En 2019, la climatologue de la NASA Claire Parkinson montrait que, sur les 14 millions de km² du « Continent blanc », la surface de celui-ci avait rétréci de 2 millions de km². Soit 4 fois la taille de la France. Plus la banquise recule, plus vite les manchots déclinent. Ces animaux sont obligés d’aller chercher une nourriture toujours plus lointaine et perdent leurs poussins sous les effets conjugués des précipitations, de la taille de la banquise et des variations du niveau de la mer.

    Ils vont alors se cacher dans des zones reculées et inaccessibles où l’homme, paradoxalement, n’est pas en mesure de les protéger. On estime qu’il ne reste qu’environ 500 000 manchots empereurs, dont à peine 265 000 sont des couples reproducteurs. Mais on n’est pas certain du nombre exact d’individus, tout au plus peut-on décompter leurs colonies. Et celles-ci aussi fondent à vue d’œil. C’est là que quelques scientifiques britanniques ont eu une idée pour les pister : avoir un bien plus gros œil. Et justement, il y en a un dans l’espace.

    Un satellite pour les excréments

    Il s’appelle Sentinel-2, c’est un parallélépipède géant de 3,40 mètres de long et 1200 kg doté d’optiques multi-spectrales à grande résolution. Le premier satellite de ce type a été mis en orbite par l’agence spatiale européenne en juin 2015 dans le cadre de la Mission Copernicus et ils sont maintenant toute une flotte.

    Leur résolution permet de réunir des images précises pour la surveillance de l’environnement et faciliter la prévention de catastrophes naturelles pour préparer des opérations sur le terrain. Considérant que la disparition des manchots empereurs était une catastrophe en soi, les chercheurs du British Antarctic Survey ont été glaner les images des Sentinel-2 et les ont scrutées. Sauf qu’ils s’en sont servi eux pour chercher… des excréments. Ou plus exactement du guano.

    Sur ses images, les chercheurs britanniques ont cherché des tâches brunes sur la glace qui sont les endroits où les manchots vont faire leurs besoins. Donc, des lieux proches de là où vivent ces gros oiseaux. En combinant ces clichés par modélisation, les experts ont pu ainsi découvrir des colonies cachées, là où l’on a jamais mis le pied. En tout 11 nouvelles colonies ont été localisées. On connaît donc désormais 61 sites habités sur tout le continent blanc. Selon le nombre de manchots empereurs qu’elles rassemblent, cela pourrait augmenter la population de manchote connue de 5 à 10 %.

    Souriez, votre espèce est surveillée

    Contre toute attente les manchots ont été s’installer sur des sites lointains (parfois jusqu’à 180 kilomètres du continent) et instables car nouvellement créés. Et ce n’est pas une bonne nouvelle. « Tous les sites de reproductions, explique le Dr. Phil Trathan, un des biologistes de l'étude, sont localisés à des endroits où les projections modélisées récentes suggèrent que les empereurs vont décliner ». L’équipe compte donc désormais surveiller ces sites de son mieux afin que l’aide internationale s’organise en cas de problème.

    Mais ces découvertes vont avoir un autre effet, parfaitement dans le rôle de la mission Copernicus. Etant particulièrement sensibles au dérèglement climatique, les manchots empereurs vont permettre de suivre l’évolution de l’Antarctique à distance. Trivialement, s’ils fuient, c’est que cela fond. Les chercheurs les comparent déjà aux canaris qu’on mettaient dans les mines de charbon car ils pouvaient détecter les émanations de gaz toxiques que les mineurs ne sentaient pas. Disons qu’après les satellites qui les observent, ce sont les manchots qui deviennent des sentinelles.

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