2022 M02 18
Le 18 février est la journée de sensibilisation au syndrome d’Asperger, une condition encore mal connue du grand public qui la caricature un peu. Quoi de mieux alors, pour comprendre cette forme d’autisme, que de retracer le parcours d'une femme qui a mis à profit sa sensibilité et sa perception pour venir en aide aux animaux d’élevage ?
Aujourd'hui 18 février, c'est la journée nationale du Syndrome d'Asperger en France... Pour mettre en lumière plus spécifiquement les autistes de haut niveau comme notre fils Axel!!! ❤️#aspergers pic.twitter.com/B54Gx6iOuS
— Cineáltas 🌒🌕🌘 (@NatachaRocca) February 18, 2019
Si l’autisme est multiple, celui auquel on pense généralement en premier est « l’autiste savant », illustré par Dustin Hoffman dans le film Rain Man. Pour mieux saisir ce qu’il devait jouer et comment une personne autiste percevait le monde, l’acteur oscarisé avait reçu les conseils d’une femme elle-même atteinte d’un trouble autistique : Temple Grandin. Pourtant, celle-ci n’est ni actrice, ni comédienne. Non, elle est la plus éminente spécialiste en Zootechnie.
La science du bien-être
Entre ingénierie et études scientifiques, la zootechnie s’intéresse autant à la génétique qu’à la nutrition (entre autres) pour améliorer la production animale : lait, viande, cuirs, œufs… Complémentaire de l’agronomie, dont elle est un peu le versant dédié à l’élevage, cette discipline permet d’adapter les méthodes et équipements en se basant sur les sciences qui étudient les animaux (éthologie, épidémiologie…).
Vous avez peut-être entendu parler de l’éleveur qui a mis des casques de réalité virtuelle à ses vaches laitières pour les apaiser ? C'est le même principe car, souvent, un gain de productivité passe par des meilleures conditions de vie pour les bêtes.
Alimentation, reproduction, sécurité… Les travaux de Temple Grandin ont beaucoup fait progresser le bien-être animal dans les élevages industriels et les abattoirs. Selon ses propres dires, la moitié du bétail élevé en Amérique du Nord a mis en application ses recommandations ou son matériel.
Car à 33 ans, Temple Grandin a lancé sa société de conseil en ingénierie d’élevage en 1980 et réalisé des audits pour des firmes comme Burger King et McDonald’s, incitant de nombreuses autres sociétés alimentaires à suivre l’exemple. En 1990, elle est nommée professeure de Sciences animales à l’université du Colorado et a depuis fourni près de 200 articles de recherche sur ce sujet. Son secret ? Elle a posé sur les bêtes un regard inédit.
Effet bœuf garanti
Temple Grandin a par exemple remarqué les endroits où les bovins avaient peur : dans l’ombre, quand retentissent des bruits… Les animaux vont naturellement vers la lumière ? Elle fait illuminer les zones d’arrivée pour les faire avancer plus intuitivement. L’activité alentour les distrait ? Temple installe des corridors en zigzag et place des cloisons pour que les vaches restent concentrées.
Elle a aussi répandu le choix de revêtement antidérapant qui réduit les risques de chute pour ces bêtes dont le poids dépasse facilement une tonne. Tout se passe alors plus facilement, dans le calme, sans que les employés soient tentés de violenter les bêtes pour accélérer la cadence. Les animaux cessent de stresser inutilement ce qui améliore les conditions de travail, et la qualité des produits animaliers.
Un atout en particulier a permis à Temple d’aboutir à tous ces constats : elle a une mémoire photographique et une « pensée visuelle » plutôt que de réagir aux mots et aux concepts. Comme elle le décrit elle-même lors de son TED Talk , « Mon cerveau fonctionne comme Google Images », en remplaçant « tous les mots dits ou écrit en films colorés » ce qui l’a aidé à remarquer les détails environnementaux et signaux comportementaux dans les élevages.
Un regard sensible et photographique
Dr Grandin a aussi un intérêt réel pour ces bovins qu’elle a appris à aimer enfant, dans le ranch de sa tante. Diagnostiquée autiste très jeune, elle était hypersensible aux bruits, au toucher et aux parfums... Comme ces animaux. De même, après avoir constaté que les vaches se détendaient en étant fermement tenues dans une machine pour être ferrées ou vaccinées, elle eut l’idée de construire une "machine à câlins" du même type, mais pour elle-même. Elle l’a utilisée longtemps et bien d’autres s’en sont inspirés pour apaiser les personnes hypersensibles.
Aujourd’hui, la Dr Grandin reste une référence. Time magazine l’a inclus dans son classement des 100 personnalités les plus influentes au monde. Ses livres (en particulier son autobiographie Ma vie d’autiste) ont fait avancer les sciences comportementales et psychologiques. Sa vie a été adaptée en un film couronné par un Golden Globe. Et plus important encore, des millions de vaches, cochons, moutons et chevaux sont mieux respectés par une industrie qui ne les voyait que comme un matériau. Impossible désormais de ne pas réfléchir à ce qu’ils voient, pensent, craignent et préfèrent... Ce que la prise de conscience du bien-être animal démontre bien.
Crédit photo : ALA The American Library Association