2022 M11 16
Le Monde présentait Sandrine Rousseau, en septembre dernier, comme « la tête de pont de l'écologie politique française ». La députée de la neuvième circonscription de Paris (depuis le 19 juin 202), écoféministe, n'est pas la première femme à se battre pour l'environnement. Une des militantes écologistes de la première heure, célèbre avant même l'émergence des premiers partis politiques dit « verts », se nommait Rachel Carson. Et voici l'histoire de cette militante acharnée.
Reine de la vulgarisation scientifique
Rachel Carson est née en 1907 à Pittsburgh, en Pennsylvanie (USA). Biologiste marine, elle commence sa carrière à l'US Bureau of Fisheries, un organisme fédéral dépendant du département de l'Intérieur des États-Unis dont le rôle est de s'occuper de la gestion et la préservation de la faune. C'est seulement la deuxième femme embauchée à plein temps par cette institution.
Au micro de France Inter, en juillet 2020, Gelareh Yvard-Djahansouz, professeure d’histoire et de civilisation américaine à l'Université d'Angers, expliquait qu'aux États-Unis, les femmes se sont engagées pour la défense de la nature dès le XIXe siècle. « Elle utilisait souvent l'écriture comme moyen de faire connaître et promouvoir leurs idées", raconte-t-elle. Justement, c'est un livre qui a fait connaître Rachel Carson. Intitulé The sea around us (Cette mer qui nous entoure), il a été publié en 1951.
La biologiste y vulgarise les mystères et trésors scientifiques des océans. L’histoire de la formation de notre planète, de son évolution, les créatures peuplant les eaux, de la surface aux profondeurs abyssales… Son récit passionne aussi bien le grand public que les scientifiques. Au point de rester 86 semaines sur la liste des best-sellers du New York Times et d’être traduit en 28 langues !
Une femme contre le lobby des pesticides
Mais l'ouvrage de Rachel Carson qui a fait le plus de bruit, c'est Silent Springs (Printemps silencieux), publié en 1962. L'objectif de ce livre ? Prévenir la population des dangers des pesticides, largement utilisé après la Seconde guerre mondiale. Elle y pointe notamment du doigt un pesticide, le DDT. Premier pesticide moderne, présenté comme une « bombe anti-insecte », Rachel Carson l'accuse d’être cancérigène et de nuire à la reproduction des oiseaux.
Le livre de Rachel Carson a participé à la chute du DDT, qui faisait alors l'objet de campagne de publicité par le gouvernement américain. À peine dix ans après la sortie de « Silent Springs », le DDT a été interdit par 38 pays occidentaux. En 2001, il faisait partie de la liste des « 12 salopards ». Cette liste, présente dans le texte de la Convention de Stockholm, expose des molécules jugées particulièrement nocives pour l'environnement et la santé.
Rachel Carson, pionnière de l'écoféminisme ?
L'écoféminisme désigne l'idée selon laquelle l'exploitation et la destruction de l'environnement par les humains et l'oppression des femmes par les hommes sont les conséquences d'un même système. Rachel Carson était-elle une des pionnières du mouvement ?
D'après Gelareh Yvard-Djahansouz, de nombreuses écoféministes contemporaines considèrent Rachel Carson comme une des leurs. Il faut dire que la biologiste et écrivaine fit l'objet de nombreuses critiques misogynes. De plus, elle n'entrait pas du tout dans le moule de la mère au foyer docile des années 50. Rachel Carson était célibataire, élevait seule l'enfant illégitime de sa sœur, et entretint une relation très intime, jugée ambiguë, avec une femme mariée nommée Dorothy Freeman.
Mais Rachel Carson, affaiblie par un cancer du sein, meurt en 1964. Or, le terme écoféminisme n'apparait pour la première fois qu'en 1974, dans le livre L'amazone verte, signée Françoise d'Eaubonne. Une chose est sûre : Rachel Carson fait partie de ces femmes qui se sont battues pour la préservation de l'environnement et de l'humanité, comme Vandana Shiva, Ariel Salleh, Sandrine Rousseau et bien d'autres encore.
Une soixantaine d'année avant #Metoo, et alors que la France vient de connaître son mois d'octobre le plus chaud jamais enregistré, les mots écrits par cette militante iconique en conclusion de Silent Spring résonnent fortement :
« Vouloir « contrôler la nature » est une arrogante prétention, née d’une biologie et d’une philosophie qui en sont encore à l’âge de Neandertal où l’on pouvait croire que la nature était destinée à satisfaire le bon plaisir de l’homme. »