Les hébergeurs solidaires : rencontre avec ces citoyens qui accueillent des familles à la rue

Chaque soir, partout en France, des personnes accueillent des familles en exil et des personnes en situation de vulnérabilité au sein de leur domicile, le temps d’une nuit, d’un mois ou d’une année. Discrète mais indispensable, cette population qu’on appelle les « hébergeurs solidaires » est épaulée par des associations comme Utopia 56. Pour Les Eclaireurs, deux hébergeurs solidaires ont accepté de nous ouvrir leurs portes.
  • C’est sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris que nous donne rendez-vous Pierre, coordinateur de l'antenne parisienne de l’association Utopia 56, chargée de venir en aide aux personnes exilées et dont nous avions mis en lumière l'antenne à Calais et Grande-Synthe. C’est un soir de décembre, il est un peu plus de 19h, le froid hivernal se mesure aux épaisses couches de vêtements que portent les passants, pressés d’atteindre leur domicile. Ici, se réunissent des dizaines de familles en situation d'extrême vulnérabilité. Autrement dit, des familles qui n’ont pu trouver un toit pour la nuit.

    Les familles à la rue se regroupent sur le Parvis de l'Hôtel de Ville à Paris

    En France, un demandeur d’asile sur deux n’est pas hébergé, faute de capacité dans le dispositif national d’accueil

    Impossible de le deviner tant ces familles paraissent noyées dans l’ambiance festive qui règne sur le parvis, à l’approche de Noël. Un manège fait le plein d’enfants, des cabanons abritant des confiseries et autres réjouissances caractéristiques de la période des fêtes de fin d’année embaument l’air frais, et à quelques pas, un recensement de personnes sans hébergement s’organise dans la cohue de la fin de journée.

    Dès lors que le 115, numéro d’urgence du Samu Social, ne parvient à trouver de solutions pour héberger ces familles – ce qui arrive bien trop souvent nous précise Pierre - Utopia 56 prend le relai avec son réseau. Des bénévoles de l’association sont chargés de trouver, rapidement, une solution d’hébergement en activant le vaste réseau Utopia : des particuliers possédant une chambre ou ne serait-ce qu’un canapé, des paroisses, des cafés associatifs ou des entreprises qui accepteraient de prêter leurs locaux pour y héberger les familles.

    « En général, le principe, c'est d'héberger des personnes en situation vulnérable. Donc, soit avec des enfants ou des femmes seules. »

    Un manque de volonté politique

    Cette nuit toutes les familles recensées trouveront un.e « hébergeur.euse solidaire ». Ce n’est évidemment pas le cas tous les soirs, nous confie Pierre. Bien souvent, les bénévoles se voient contraints d’installer un campement de fortune, souvent en périphérie, pour garantir un « toit » à ces familles vulnérables. « Ce serait très simple d’accueillir ces personnes dignement. Des solutions peuvent être trouvées, mais il y a clairement un manque de volonté politique. » Malgré une augmentation du nombre de places dans les structures d’hébergement d’urgence entre 2012 et aujourd’hui, le dispositif reste toujours saturé et n’arrive à pallier au nombre de demandes d’hébergement d’urgence grandissante. « Des dizaines de milliers de logements seraient réquisitionnables par la préfecture, un centre de premier accueil en France pourrait être créé. » affirme le coordinateur de l’association.

    De la maraude à l’hébergement solidaire

    Quelques heures plus tard, nous accompagnons une bénévole d’Utopia 56 et deux jeunes parents d’Afrique subsaharienne avec leur bébé de 6 mois au domicile de leurs futurs hébergeurs. C’est un couple parisien d’une trentaine d’années, Rebecca et Damien, qui nous ouvrent leurs portes. Après avoir installé les deux parents et leur bébé dans la chambre d’ami, ils nous expliquent qu’ils ont décidé d’héberger une famille en exil une fois par semaine.

    « J'ai du mal à comprendre ma situation et leur situation. Très souvent, je me couche dans mon lit, le soir, et je me dis : Qu’est-ce qu’on a de la chance ! » nous confie Rebecca. Leur chemin vers l’engagement solidaire et l’hébergement citoyen a commencé tout d’abord par des maraudes et des distributions alimentaires avec Utopia 56. Très vite, Rebecca a été frappée par la situation des personnes en exil et l’accueil qui leur est réversé, en France. Accompagnée de son amie Léna, elles fondent le collectif Elka et organisent collectes, ateliers solidaires et s'emploient à visibiliser les histoires de ces héros citoyen.ne.s, les hébergeur.euse.s solidaires.  

    L’émotion est encore présente lorsqu’ils nous racontent l’histoire de Maya, une mineure déscolarisée qu’ils ont aidée dans ce qui s’apparente souvent comme un chemin de croix pour les personnes peu familières à notre système : les procédures administratives qui juxtaposent le parcours scolaire.

    « On a déjà eu une maman qui a pleuré en découvrant la chambre. Ça faisait sept jours qu’elle dormait sur un banc. »

    Souvent très fatiguées, les familles profitent du moment pour dormir et récupérer de précédentes nuits passées à dormir dans la rue. Parfois, ils leur arrivent de partager un dîner, un thé ou une petite discussion. Le sourire aux lèvres, Damien nous confie les appeler « les invité.e.s ». Un mode d’expression qui permet de normaliser leur démarche, car la réinsertion passe aussi par le langage et les mots utilisés pour qualifier ces personnes en situation de vulnérabilité.

    Leur objectif en 2022 ? Que leurs ami.e.s deviennent à leur tour hébergeur.euse.s

    Pour devenir hébergeur.euse citoyen.ne, retrouvez toutes les informations sur le site d’Utopia 56.
    Et pour suivre le collectif Elka sur les réseaux c’est ici.

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