Tendance ésotérisme : comment les sorcières créent un nouveau business féministe

Synonyme de féminicides jusqu’à la fin du 18e siècle, la sorcellerie sort peu à peu de l’ombre et les cafés ésotériques, dirigés par des femmes, commencent à éclore un peu partout en France. Ces lieux ancrent dans notre société des nouveaux points de repères où tout le monde est invité à franchir la porte, dans le but de s’épanouir. Demain, tous et toutes sorcières ?
  • La communauté des sorcières rassemble des personnes de tous âges, tous genres, toutes cultures. Elles sont ré-apparues sur Twitter, Tumblr, Instagram et ont souvent dû se rassembler de façon discrète avant que des pionnières n’en décident autrement. Valence, Besançon, Lille, Paris, Annecy, Nantes… L’année 2020 a vu fleurir une nouvelle forme de commerce local : le café ésotérique. Entre la boutique, le café et les événements, ces lieux hybrides ont pour point commun d’avoir été créés et d’être dirigés par des... sorcières.

    C’est quoi, la sorcellerie ?

    Oui, les sorcières existent. Elles œuvrent pour le bien-être de tous les êtres vivants, de la faune et de la flore. Cette spiritualité dépend de chaque personnalité et s’exerce selon ses croyances. Certaines sont agnostiques, d’autres sont liées aux dieux et déesses, d’autres encore se situent entre les deux. En bref, la sorcellerie n’a rien de dogmatique. En France, s’en revendiquer n’est ni illégal, ni condamnable, contrairement à certains pays où l’on peut encore être condamné, torturé ou exécuté pour sorcellerie.

    Pauline a ouvert son café ésotérique à Annecy au printemps 2020, Arcane noir : « J’ai toujours eu ça quelque part en moi et je l’ai tu parce que quand t’arrives au lycée, dire que t’écris des formules, les gens te regardent comme une cinglée. Puis j’ai rencontré des personnes qui faisaient des sceaux magiques, tiraient les cartes... » Après une rupture difficile, Pauline y revient. « Être sorcière, dit-elle, c’est se sentir libre de faire ce qu’on a envie, de prendre soin de soi et des autres avec ce qui nous est donné comme des herbes ou des pierres. C’est prendre soin de tout ce qui existe, même ce qu’on n’aime pas. Et créer des liens de sororité. »

    Preuve en est : toutes les femmes qui créent aujourd’hui un café-boutique ésotérique discutent et échangent leurs bons conseils, que ce soit en tant qu’entrepreneuse ou comme sorcière.

    « La sorcellerie, ça peut être de touiller son thé, mettre des pierres sur son bureau, porter un talisman. Il ne faut pas grand-chose pour se sentir sorcière. »

    À Paris, à l’automne 2020, ce sont Mathilde et Éloïse qui ont ouvert le café Contresort. Elles se présentent respectivement comme astrologue-pâtissière et chirologue-pâtissière. Éloïse précise que leur pratique est « non divinatoire » et « non prédictive » : « Avec l’étude de la main et de ses lignes, je le fais de manière introspective, pour accéder à plus de connaissances de soi. Les gens sont en pleine possession de leur libre-arbitre. Il n’y a pas de fatalité. » Si elle ne se définit pas complètement sorcière, sa magie, selon elle, opère principalement dans sa cuisine : « Je suis franco-camerounaise, je mélange des choses, notamment le recours aux plantes et épices pour soigner les petits maux. »

    « La sorcellerie, poursuit Pauline, ça peut être de touiller son thé, mettre des pierres sur son bureau, porter un talisman. Il ne faut pas grand-chose pour se sentir sorcière. Se créer des rituels, c’est de la sorcellerie. C’est tout ce qui fait du bien et qui aide à s’ancrer. C’est du self-care. »

    Dans son livre, Witch please, grimoire de sorcellerie moderne, Jack Parker la résume ainsi : « C’est une pratique personnelle, intime, comme la religion, et elle ne regarde que vous et vos croyances. »

    Eloïse à droite, Mathilde à gauche, du café Contresort. Crédit : @aude_laa

    « Tu ne peux pas être sorcière sans être féministe »

    Après avoir chacune traversé une période sombre, la sorcellerie a aidé Eloïse et Pauline à se reconnecter à elles-mêmes. « J’étais en quête de magie au quotidien. Pas la transformation d’une citrouille, plaisante Eloïse, mais une envie de lumière, de petite étincelle. »

    Si Pauline a toujours eu la sorcellerie en elle, le féminisme est apparu plus tard. Elle le reconnaît aujourd’hui comme une dimension essentielle à sa spiritualité. « J’étais dans une relation toxique et je n’avais pas trop de féminisme dans ma vie. En sortant de cette relation j’ai eu un éveil. »

    Selon Eloïse, « tu peux être féministe et pas sorcière, mais tu ne peux pas être sorcière sans être féministe ». Comme l’écrit Mona Chollet dans son ouvrage Sorcières, la puissance invaincue des femmes : « La magie apparaît paradoxalement comme un recours très pragmatique, un sursaut vital, une manière de s’ancrer dans le monde et dans sa vie à une époque où tout semble se liguer pour vous précariser et vous affaiblir. »

    Toujours dans Witch please, Jack Parker précise : « La sorcière est une femme puissante, indépendante, à l’écoute du monde et de l’univers, qui se sert de toutes les énergies qui transitent dans ce monde pour s’élever, se protéger, reprendre le pouvoir sur sa vie. »

    Bien-être et épanouissement personnel

    Les cafés-ésotériques de Pauline ou Eloise ont été pensés pour répondre à leurs convictions personnelles et profondes. En cela, elles ont créé des modèles de business féministes où l’échange, le partage et la bienveillance rejoignent les objectifs de rentabilité.

    Outre les produits à la vente, du cookie à la potion magique, du jeu de tarot aux talismans, le développement personnel est au cœur du concept. À Arcane noir, vous pourrez ainsi trouver un tableau de pracitien.nes de divers domaines, de l’homéothérapie au soin énergétique.

     « Je prends beaucoup de temps pour discuter et oriventer vers les personnes qui peuvent aider, explique Pauline. L’idée d’Arcane noir est aussi de pouvoir accueillir quelqu’un qui veut venir lire un livre sans être inquiété.e, sans qu’on le ou la regarde bizarrement. On s’aide aussi. J’ai lancé par exemple des ateliers sur « oser se lancer », « les outils indispensables » ou encore « le syndrôme de l’imposteur ». »

    « Un nouvel espace inclusif pour accueillir tout le monde. »

    Eloïse qualifie le café Contresort de "nouvel espace inclusif pour accueillir tout le monde. C’est un café safe pour les personnes qui pratiquent des choses alternatives ou farfelues pour les autres, qui est accueillant pour les personnes trans, racisées, non-binaires… C’est un lieu où on se restaure. Si nos rituels restent dans le registre de l’intime, en revanche, on a ouvert ce lieu pour échanger autour de ces pratiques. »

    Souvent, à l’oreille de Pauline, des personnes chuchotent « Je suis une sorcière ». Alors elle repense à cette citation : « Un jour j’ai dit que j’étais une sorcière et plein de femmes m’ont murmuré qu’elles aussi. »

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