2021 M02 3
Au départ, il y a ce constat implacable : à cause du réchauffement climatique, le niveau de la mer monte et les terres fertiles s’éloignent de facto de la côte en raison de la forte salinité du littoral. C’est pour lutter contre ce phénomène que François Plassard, ingénieur agronome à la retraite, a créé l’association Paysans Terre Mer. L’objectif ? Construire des plateformes flottantes équipées d’un système de culture maraîchère sous serre.
« Au sortir de la dernière guerre, on a préféré une agriculture de type linéaire dans les champs, dans notre manière de penser la croissance, dans notre approvisionnement des grandes villes, verrouillé par les prix fixés par la grande distribution, analyse-t-il. Je me suis donc posé la question de savoir comment muter progressivement ce modèle agricole productif linéaire, qui réchauffe dangereusement le climat, pollue et gaspille 70% de notre eau douce, en un modèle productif circulaire pour imiter celui de la mer. »
« Notre modèle agricole productif linéaire réchauffe dangereusement le climat, pollue et gaspille 70% de notre eau douce. »
De ses réflexions est donc né le concept de tortue maraîchère. La tortue, en référence à sa forme, est en fait un jardin potager flottant installé sur une barge. Dans cette serre autonome en énergie et eau douce grâce à l’énergie solaire, la culture se fait selon le principe de l‘aquaponie. L’aquaponie, c’est un système fermé qui réunit la culture de plantes et l’élevage de poissons. Dans ce système, les déjections des poissons apportent aux plantes les nutriments dont elles ont besoin. Les plantes filtrent l’eau qui retourne ensuite aux poissons.
Une serre autonome
Sur la tortue maraîchère, les poissons et les plantes se nourrissent donc mutuellement en circuit fermé, sans intrants ni rejet. Les bassins des poissons sont alimentés en eau douce grâce à des distillateurs solaires : l’eau de condensation est récupérée et injectée dans le circuit d’irrigation animé par une pompe fonctionnant à l’énergie solaire.
Trois ans de travail
Après trois ans de brainstorming et de labeur et grâce à l’aide de nombreux étudiants de l’université de Perpignan et de l’IUT de Narbonne, François Plassard et les bénévoles de l’association ont mis à l’eau en octobre dernier leur première tortue maraîchère sur l’immense étang salé de La Palme, dans l’Aude. Elle est retenue par des ancres et posée sur des bidons qui la ramènent vers le haut et la maintiennent en surface. Dans la serre, qui mesure soixante mètres carrés, ils vont produire l’équivalent d’un potager de 300 m2. Les jardiniers flottants de l’association espèrent réaliser leurs premières plantations d’ici quelques semaines, si la situation sanitaire le permet.
Susciter des vocations
L’association veut se servir de ce prototype, qui est déjà une attraction locale, pour organiser des actions éducatives et des animations d’écotourisme. Mais François Plassard espère surtout que sa tortue maraîchère suscite des vocations. « Ces serres flottantes pourraient constituer un complément de revenus et une piste de diversification aux exploitations agricoles qui sont vraiment fragilisées par les conséquences du changement climatique. Mais on pourrait aussi imaginer qu’elles soient utilisées par des collectivités pour produire des légumes pour la restauration scolaire, par exemple », conclut-il.
Car en plus d’être écologiquement vertueuse, la tortue maraichère est économiquement très rentable : elle ne nécessite que quelques heures d'entretien par jour, d’autant plus qu’elle est connectable pour effectuer une surveillance à distance. Avec tous ces atouts, la tortue de La Palme devrait rapidement faire des petits.