2021 M02 25
Depuis juillet 2020, La Fumainerie a déconnecté 20 foyers du tout-à-l’égout et installé des dispositifs de toilettes sèches. Les membres de cette association organisent la récupération hebdomadaire des "déchets" et leur transformation en biostimulants pour les plantes et en compost. Cette expérimentation censé durer 2 ans voulait vérifier qu’il était possible de se passer du réseau d’évacuation qui utilise de l'eau potable ; c’est chose faite. Mieux encore : elle a prouvé que nos selles pouvaient sauver l’environnement en réduisant le gaspillage d’eau (vos WC seuls représentent 20% de votre consommation annuelle) et supprimant la pollution des stations d’épuration. L’expérience est si positive que l’un de ses membres, Johnny Hardy, en a écrit un livre : Je m’occupe de mes fèces... On lui a demandé de nous expliquer s’il avait trouvé le bonheur en ramenant ses excréments dans le pré.
Dans le cadre de votre expérimentation, vous gérez entièrement la transition pour les foyers tests : vous fabriquez, installez et fournissez de quoi gérer l’usage quotidien ?
Johnny Hardy : La Fumainerie ne fabrique pas elle-même les dispositifs de toilettes sèches. On les achète localement. Nous fournissons par contre de la sciure à volonté, sous forme de ballots compacté de 20 kilos. Cela absorbe les odeurs bien mieux et garantit une pièce toujours accueillante. Un point important pour changer les mentalités...
Plutôt que d’évacuer les matières, vous les recupérez. Comment s’organise la collecte ?
Nous recueillons les excréta, c'est à dire pour nous les selles et les urines, que nous considérons comme des ressources agricoles. La collecte est effectuée une fois par semaine, par triporteur électrique, lors d’un créneau convenu à l’avance. Nous récupérons les contenants fermés (mis à disposition lors de l’installation) et fournissons des contenants propres. Ensuite, nous déposons quelques centilitres d’acide lactique (le même qu’on trouve dans les produits laitiers fermentés, type yogourt ou kéfir) afin de conserver l’urine sans odeur. Les adhérents n’ont donc aucun nettoyage à faire, nous nous occupons de tout.
« A l'échelle du pays, l'assainissement écologique pourrait nous faire économiser plus de 700 millions de m3 d’eau potable par an. »
Parlons des gains : le remplacement des toilettes humides éviterait le gâchis de millions de litres d’eau potable. Vous l’avez évalué ?
Notre modèle permet d’économiser plus de 700 millions de m3 d’eau potable par an, s'il devenait la norme dans le pays. Côté finances c’est très compliqué à évaluer… Mais nous avons calculé que si la métropole de Bordeaux entière passait aux toilettes sèches, cela ferait économiser l’équivalent de toute l’eau potable consommée en un an par une ville de 150 000 habitants, comme le Havre ou Saint-Étienne.
Et financièrement ? Peut-on estimer le coût moyen par habitant si on généralisait cette mesure ?
Non, ce ne serait pas raisonnable de comparer un système installé depuis des décennies, avec l’assainissement écologique. On sait en revanche que les coûts induits par les pollutions atmosphériques et aquatiques des stations d’épuration ne sont pas pris en compte dans les calculs des collectivités. Pas plus que les conséquences sur la santé et sur l’environnement. Imaginons que l’assainissement écologique se révèle temporairement plus coûteux que celui industriel actuel ; n’est-il pas plus important de conserver des réserves d’eau douce, une atmosphère respirable et des sols vivants ?
Il est tôt pour faire un bilan, mais envisagez déjà la suite de ce projet ?
La Fumainerie veut populariser cette alternative à l’assainissement industriel. Nous voulons sortir rapidement de l’expérimentation et devenir un service d’assainissement à part entière qui ne participe pas à la pollution des cours d’eau et ne produit ni protoxyde d’azote, ni méthanol, ni chlorure ferrique… Nous travaillons dur à ce que, demain, la chasse d’eau soit un objet du passé. Il y a des installations d’assainissement écologique à Paris (quartier Saint-Vincent-de-Paul), à Dol-de-Bretagne, ou à Cressy en Suisse. C’est le quotidien, en habitat individuel, de milliers de personnes en France. Les toilettes sèches sont l’avenir des villes.
Quels avantages tirerait notre société du passage aux toilettes sèches ?
L’assainissement écologique permet en outre d’économiser des ressources énergétiques importantes puisque le procédé actuel pour faire des engrais (comme le nitrate d’ammonium) consomme 2% de l’énergie produite dans le monde. Tout en diminuant fortement l’usage des stations d’épurations qui sont responsables d’autant de gaz à effet de serre que l’ensemble du trafic aérien mondial.
« Nous travaillons pour que demain, la chasse d’eau soit un objet du passé. »
En bout de chaîne, votre livre évoque un autre sujet avec l’impact de l'assainissement sur la biologie des sols...
Oui, il ne peut y avoir de filière d’assainissement écologique sans prise en compte de cet impact des produits. Contrairement aux plantes, les organismes vivants du sol ne sont pas friands d’engrais et ont besoin de matière organique fraîche riche en carbone pour se développer. La séparation de l’urine et des selles permet de créer, d’un côté, un biostimulant pour les plantes et, de l’autre, du compost qui soutient la croissance des végétaux. La régénération des sols et de la biodiversité sont donc très liés à la popularisation des toilettes sèches.
Est-ce que tout est à vos frais ?
Oui, collecte et entretien représentent un coût qui reste intégralement à notre charge, les foyers ayant seulement pour frais une petite cotisation associative annuelle sans comparaison avec les économies d’eau qu’ils vont réaliser sur un an.
Y'a-t-il d'autres coûts ou entretien à envisager pour l'utilisateur, à long terme ?
Non, aucun frais supplémentaires pour les foyers déconnectés, voire plutôt des économies à faire : plus besoin de faire appel à un plombier pour des canalisations bouchées…
"Je m’occupe de mes fèces...et de mes urines" de Johnny Hardy aux éditions Librinova