Analyser le sang des règles : une solution pour mieux soigner les femmes ?

Tous les jours, selon des chiffres avancés par la BBC, environ 800 millions de femmes ont leurs règles. Sara Naseri, médecin aux États-Unis, a décidé d’analyser ce sang pour faire avancer la science et améliorer la santé des femmes.
  • Comme souvent, il y a un point de départ. Pour Sara Naseri, docteure et fondatrice de la startup californienne Qvin, il est arrivé lors de ses études de médecine en 2012. « Lorsque j'ai commencé à faire des recherches sur le sang menstruel dans les bases de données médicales, à la recherche de publications scientifiques, les seules données que j'ai pu trouver provenaient d'une enquête criminelle sur un meurtre à New York. J’ai été choquée de constater que personne n'avait considéré le sang menstruel comme une ressource sanitaire précieuse pour les femmes », raconte Sara dans cette interview

    385 protéines dans le sang menstruel 

    Pourtant, 70 % des décisions médicales sont prises sur la base de résultats d’analyses de sang. « Je me suis demandée pourquoi le sang de nos règles n'avait jamais été considéré comme une source d'analyse dans le cadre des soins de santé », poursuit la docteure qui a grandi au Danemark avant de s’installer aux États-Unis. Selon elle, le sang menstruel a toujours été perçu comme « un déchet » et « l'accent a été mis sur l'aspect hygiénique des menstruations, et non sur la santé. »

    Au final, elle met la main sur une seule étude en lien avec ce sujet. Elle tombe sur un détail qui a son importance : le sang menstruel contient 385 protéines uniques. Dix ans plus tard, et après un passage par l’université de Stanford aux États-Unis, Sara Naseri a terminé ses études de médecine. Mais elle a surtout lancé sa startup baptisée Qvin spécialisée dans l’analyse du sang menstruel pour améliorer la santé des femmes. 


    Comme l’explique la BBC, le sang menstruel contient du sang (logique) mais aussi des cellules de l’endomètre, des sécrétions vaginales ou encore de la glaire cervicale (la sécrétion du col de l'utérus). La startup a alors conçu une serviette menstruelle spéciale, composée de bandelettes amovibles.

    Les femmes qui voudraient faire tester leur sang doivent porter la serviette durant les règles et la renvoyer à la startup qui effectue ensuite les analyses en laboratoire. Selon Sara Naseri, son entreprise est capable de détecter la présence du virus HPV dans les cellules du col de l’utérus, d’analyser la glycémie, la fertilité, la périménopause — la période de transition que connaît le corps jusqu'à la ménopause, Ndlr — ou encore la santé thyroïdienne. « Ce n'est qu'un début, assure Sara Naseri. Le sang menstruel contient plus de 385 protéines uniques. Nous ne faisons donc qu'effleurer la question de savoir comment le sang menstruel peut changer la santé des femmes. » Ceci étant dit, selon la BBC, ce produit est actuellement évalué par les autorités sanitaires américaines et n'est pas encore disponible pour le grand public.

    « Lorsque nous avons organisé une collecte de sang menstruel pour l'étudier, plusieurs médecins nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas demander ça à leurs patients. »

    Encore un tabou ? 

    Que ce soit pour mieux comprendre l’endométriose — et peut-être trouver des nouveaux traitements plus efficaces — ou pour des analyses plus banales, comme surveiller le diabète ou son taux de cholestérol, le sang menstruel est une ressource encore peu exploitée. L’une des raisons, même en 2023, est le tabou qui règne toujours autour des règles.

    Même dans le monde scientifique. Christine Metz, une chercheuse américaine spécialisée dans l’endométriose, raconte à la BBC : « Lorsque nous avons organisé une collecte de sang menstruel pour l'étudier, plusieurs médecins nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas demander ça à leurs patients. »

    En conséquence, les sociétés spécialisées comme Qvin ou Theblood, basée à Berlin, paient de leur poche pour réaliser des études, et prouver la valeur du sang menstruel dans le domaine médical. Pour elles, il y a une autre raison d’investir ce domaine-là : trouver des manières non-intrusives de diagnostiquer et de traiter certaines maladies qui affectent le système reproducteur féminin. Le test du sang menstruel via une serviette est l’une des solutions envisagées. 

    Sara est d’ailleurs persuadée que les données concernant les femmes sont insuffisantes dans le secteur médical :

    « Je veux inciter les femmes à combler le fossé entre les données sur les sexes - il n'y a pas assez de données sur le corps des femmes en médecine. Il n'y a pas assez de données sur le corps des femmes dans la recherche, de sorte que de nombreuses femmes ne peuvent pas être diagnostiquées correctement […] de nombreuses femmes ne se rendent pas compte que leurs données biologiques ont été exclues de la recherche, du développement des médicaments et des essais cliniques. Pour améliorer l'avenir de la santé des femmes, nous devons améliorer la collecte des données. »

    Et concernant les règles, il serait peut-être temps de briser les tabous, non ?