Qui est Étienne-Émile Baulieu, le féministe français derrière la pilule abortive ?

Le médecin-chercheur français, aujourd’hui âgé de 96 ans et encore en activité, a non seulement inventé en 1982 la pilule abortive, mais aussi celle dite du "lendemain". Quarante ans plus tard, il poursuit encore ses recherches sur la maladie d’Alzheimer mais se désespère des récentes interdictions d’avortement dans plusieurs états américains.
Robin Ecoeur

2023 M05 12

    • On pensait l'affaire entendue, mais l’invention d’Etienne-Emile Baulieu, qui remonte à plus de 40 ans, revient aujourd'hui dans l’actualité. Depuis 2022, et une décision de la cour suprême, les états américains sont libres de légiférer sur l’avortement. Treize d’entre eux ont pris la décision de l’interdire, comme l’Alabama, la Louisiane, le Texas et plus récemment la Floride — avec des législations parfois différentes. Un retour en arrière inquiétant et alarmant pour le médecin-chercheur de 96 ans : « c'est un recul pour la liberté des femmes, surtout pour les plus précaires qui n'auront pas les moyens d'aller dans un autre Etat pour se la procurer », a-t-il déclaré à l’AFP en mars 2023. Et si Étienne-Émile est affecté par ces décisions, tout autant que les femmes et les familles touchées, c’est parce qu’il est à l’origine de la pilule abortive RU 486 qu’il a inventée en 1982.

    « Aider les femmes »

    On rembobine. Étienne-Émile Baulieu est le fils d’un néphrologue (médecin spécialiste des reins) et d’une maman avocate, décrite comme une femme indépendante et féministe. Le père meurt quand Etienne-Émile a 3 ans. Il est alors élevé par des femmes (mère, grand-mères, sœurs). Au journal Le Monde, il a récemment confessé : « j’ai toujours eu envie de les soutenir et de les aider ».

    « En déconnectant l’acte sexuel de l’acte de reproduire, il a émancipé les femmes et leur a donné un pouvoir nouveau, le plus fondamental. C’était bel et bien une révolution (Gregory Pincus, inventeur de la pilule contraceptive) »

    À l’âge de choisir son orientation professionnelle, il choisit ainsi la médecine mais aussi les recherches. En 1961, l’étudiant rencontre Gregory Pincus, l’inventeur de la pilule contraceptive, lors d’un voyage aux États-Unis. « En déconnectant l’acte sexuel de l’acte de reproduire, il a émancipé les femmes et leur a donné un pouvoir nouveau, le plus fondamental. C’était bel et bien une révolution », raconte le médecin au Monde.

    En 1970, un voyage en Inde change presque tout pour Étienne-Émile. Dans ce pays, il voit de ses propres yeux la misère, mais aussi ces femmes qui subissent des grossesses et qui n’ont pas les infrastructures ni les moyens de mettre au monde ces enfants. Douze ans plus tard, le médecin, avec l’aide du laboratoire français Roussel-Uclaf, invente une pilule qui permet d’interrompre une grossesse sans passer par la case chirurgie. On est alors en 1982. L’année suivante, Étienne-Émile signe même un accord avec l’OMS pour pouvoir utiliser mondialement cette molécule comme abortif. Mais pour autant, ce n’est pas la fin de la bataille.

    Pas de retraite à 64 ans.

    Cette révolution pour des millions de femmes est accueillie avec scepticisme, voire révulsion, par de nombreux anti-avortements. On accuse le médecin d’avoir inventé une pilule de mort. À cause des pressions, le laboratoire français renonce ainsi à vendre la pilule alors qu’il obtient son « Autorisation de Mise sur le Marché » (AMM). Le ministre de la Santé de l’époque, Claude Evin, intervient : il oblige le laboratoire à commercialiser la pilule. Selon l’ancien ministre, le RU 486 était, pour reprendre ses mots, la « propriété morale des femmes ».

    Par la suite, Étienne-Émile continue d’enseigner. Il devient alors président de l'Académie des sciences de 2003 à 2004 et consacre ses travaux à la reproduction, au vieillissement, aux dépressions et au système nerveux. Le médecin s’intéresse également à Alzheimer afin de trouver de nouveaux procédés de traiter cette maladie. À 96 ans, il continue de travailler. Il se rend trois jours par semaine dans son bureau au CHU du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne). Le 1er janvier 2023, le médecin-chercheur a reçu, de la part du président, l’une des plus hautes distinctions dans l’ordre de la Légion d’honneur : la Grand Croix. 

    Quarante-et-un ans après son invention, Étienne-Émile peut à la fois être fier de ce qu’il a accompli mais aussi inquiet, notamment à cause du retour en arrière amorcé par les États-Unis où les avortements clandestins ont repris depuis les interdictions d’avorter pris par plusieurs états.

    La situation outre-Atlantique pourrait même empirer pour les Américaines à cause d'un juge texan (Matthew Kacsmaryk), qui s'est placé en faveur de l'interdiction d'une des deux pilules abortives disponibles aux États-Unis, la Mifépristone (RU 486). La Cour suprême a pour l'instant décidé de maintenir la vente mais le sujet pourrait revenir sur la table. Si ce médicament est interdit dans tous le pays, les avortements deviendraient beaucoup plus compliqués pour les femmes, comme c'est déjà le cas dans les états qui ont statué sur l'avortement. Selon la FDA (Food and Drug Administration), plus de 5,6 millions d'entre elles ont eu recours à cette pilule depuis l’an 2000 aux États-Unis. 

    Crédit photo: @YouTube Inserm

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