Cannabis : la France à la pointe sur le CBD, malgré le flou juridique

Boutiques de fleurs à infuser et de vapoteuses, vin, chocolat, produits dérivés, applications médicales… le cannabidiol est partout. Pourtant, la loi française, qui limite les teneurs autorisées en THC, n’est pas très claire. Le Parlement a lancé une consultation citoyenne en janvier et semble vouloir ouvrir la porte aux usages récréatifs.

Difficile de les louper. Depuis quelques années, elles fleurissent dans nos villes, étalant leurs feuilles de cannabis vertes accompagnées de trois lettres sur des devantures qui pourraient laisser penser que la marijuana a bel et bien été légalisée en France. Aurait-on loupé un épisode ? Pour les néophytes, ces boutiques vantant les mérites du CBD ne méritent qu’un coup d’œil furtif. On se dit que, comme pour les vapoteuses, il s’agit d’un effet de mode qui devrait s’estomper très vite. Néanmoins, pour de plus en plus de citoyens français, elles représentent un nouvel arrêt obligatoire entre le boucher, le coiffeur et la pharmacie.

Le CBD (ou cannabidiol) est la substance non-psychoactive du cannabis, celle que l’on trouve aux côtés du THC (tétrahydrocannabinol) dans le cannabis médical, dont l’usage est encadré par des professionnels. En France, en retard sur le sujet, les premières expérimentations de ce cannabis à usage thérapeutique devraient commencer en mars. 3000 patients souffrant de maladies graves (épilepsie, sclérose en plaques, douleurs chroniques…) se verront administrés le produit sous forme d'huiles, de gélules ou de fleurs séchées à vaporiser. Pas de joints à l’horizon.

Conséquence de ce récent "assouplissement" de la réglementation par l’État, les produits contenant uniquement du CBD sont désormais vendus partout, dès lors que leurs niveaux de THC ne dépassent pas 0,2 %. Si l’Agence nationale du médicament est encore opposée à leur diffusion, les boutiques utilisent une sorte de vide juridique laissé par le gouvernement, arguant l’absence d’effets psychoactifs sur les consommateurs, accompagnée d’une antiphrase simple : "le CBD n’est pas interdit par la loi, contrairement au THC". Difficile de faire plus logique.

Une teneur en THC limitée à 0,2% pour rester dans la légalité

Cependant, s’il marche aussi fort, c’est que le CBD a des vertus apaisantes : antalgique et anti-inflammatoire naturel, il permettrait de lutter contre l’anxiété, la dépression ou les insomnies. "Le CBD permet d’atténuer les douleurs et les inflammations, de réduire l’anxiété, d’alléger les souffrances des victimes de crises d’angoisse et de dépression, voire de traiter certaines maladies comme l’épilepsie ou Alzheimer", avance Leslie, gérante d’une boutique niçoise, près du port.

Ce jour-là, dans son magasin, des gens de tous âges s’enquièrent des possibilités de consommation. La sensation de ras-le-bol due au Covid (confinements, couvre-feu, solitude…) n’est pas étrangère à cet engouement. En infusion, en tablette de chocolat, en chewing-gum ou en vapoteuse préchargée, les options sont multiples. Mais ici non plus, promouvoir la fumette n’est pas encore au programme. Une histoire de mœurs et de protection légale. Le gérant de cette autre boutique du centre-ville de Nice tient un discours similaire : "on vend surtout des fleurs au kilo, cultivées pour être consommées en infusion."

Mint Kush, Amnesia, Chocolate Chip, Lemon Skunk, Bubblegum… Les noms desdites fleurs de CBD, à la concentration variable (entre 10 et 20% de substance active selon les variétés, mélanges de Sativa et d’Indica, bien davantage pour les cailloux et la résine) invitent à la dégustation. "Nos fleurs peuvent être consommées de plusieurs façons, explique-t-on à La Ferme du CBD, une entreprise française qui livre dans tout le pays. En vaporisation à plus de 170 degrés, en infusion avec un corps gras (huile, lait de soja…) ou en cuisine dans vos recettes préférées."

Pour être certains de rester dans les clous de la légalité, ces leaders du marché en France mettent le paquet sur la promesse d'une teneur en THC à 0,2 % maximum. Dans la foire aux questions de leur site cependant, beaucoup d’interrogations sur la légalité, la discrétion des envois et la possibilité de fumer les fleurs. "Nous ne pouvons en aucun cas vous encourager à fumer et donc mettre en danger votre santé", répondent-ils, sereins.

"Nous demandons à l'État de statuer sur la légalité ou l’illégalité de la vente de ces produits"

C’est que, régulièrement dans les médias, des histoires de responsables de boutiques ne respectant pas la stricte limitation viennent hanter les gérants. Fin janvier dans le Val-de-Marne, Anthony, à la tête d’une boutique de cigarettes électroniques, a passé 96 heures en garde à vue pour avoir vendu du cannabidiol trop fort en THC. Même histoire avec un commerçant de Thionville en 2018, ou encore à Valenciennes il y a quelques semaines.

C’est bien simple ; selon Matthieu Meunier, président départemental de la confédération des buralistes d'Indre-et-Loire, toutes les boutiques de CBD sont dans l'illégalité. "Nous demandons à l'État de statuer une fois pour toute sur la légalité ou l’illégalité de la vente de ces produits. Les feuilles et fleurs de chanvre ne sont pas en réalité consommées sous forme de tisane, la plupart du temps elles sont fumées. Si une plante se fume, elle doit se retrouver uniquement en vente chez les buralistes ou les pharmaciens", avançait-il le 27 janvier sur France Bleu.

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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Pourtant, les produits à base de CBD ont le vent en poupe. Et pas seulement les fleurs, qui rappellent à certains une trop grande proximité avec la marijuana fumée illégalement par de plus en plus de jeunes sur le territoire.

À La Ferme médicale, exploitation agricole où l’on cultive du chanvre près de Bordeaux, Raphaël de Pablo vient par exemple de mettre au point le Burdi W, une boisson aromatisée au cannabis. Sans surprise, ce "vin", un petit verdot transformé, cartonne. Sa campagne de financement participatif sur KissKissBankBank a dépassé de 1200% la cagnotte espérée. 10 000 bouteilles sont en cours de production. Les produits originaux à base de CBD, toujours sur le fil de la légalité, se multiplient sur le marché français.

Surprise : la France est le premier producteur de chanvre en Europe

Mercredi 10 février, la mission parlementaire autour des usages du cannabis, constituée de députés de tous bords, a publié un rapport dédié à l’aspect récréatif du cannabis (après un premier rapport sur le cannabis médical en septembre dernier). Positif, il appelle l’État à adopter une réglementation plus souple envers le CBD. "L’objectif est de démontrer que le cannabis peut être réglementé. Une bonne partie de l’opinion considère la situation actuelle comme une hérésie. Et traiter des chefs d’entreprise comme des délinquants pose question", expliquait hier dans Libération Ludovic Mendes, député LREM de Moselle.

Paradoxe, la France est le premier producteur européen de chanvre (50 000 tonnes par an). Concernant le THC, l’Hexagone est le pays d’Europe où l’on consomme le plus d’herbe et de résine de cannabis (900 000 usagers quotidiens), et ce malgré une législation très répressive. Par conséquent, depuis le 13 janvier, une consultation citoyenne est disponible sur le site de l’Assemblée nationale. Elle vise à "dresser le bilan des politiques publiques menées en matière de prévention et de répression des trafics et usages du cannabis, de proposer un panorama des expériences étrangères de légalisation ou de dépénalisation, et de contribuer à une réflexion sur l’éventuelle évolution du cadre réglementaire français relatif à cette substance".

En quelques semaines, elle a déjà rassemblé 250 000 contributions, là où ce type de consultation en récolte habituellement dix fois moins. Preuve que le sujet passionne. CBD ou THC, les choses sont donc enfin en train d’évoluer du côté du cannabis en France.

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