2021 M01 29
Après 42 ans d’exploitation, la centrale nucléaire à eau pressurisée de Fessenheim en Alsace a été définitivement arrêtée en 2020. L’extinction de ses deux réacteurs 900 Mwe a fait craindre une pénurie d’électricité, tant cette puissance est difficile à compenser sans augmenter les émissions de CO2. Car, contrairement aux centrales à charbon, l’énergie nucléaire est décarbonée. Mais est-ce matériellement possible ?
L’annonce de la fermeture de la centrale de Fessenheim avait déjà fait débat : Martin Leys, Directeur d’EDF en région Nouvelle Aquitaine, expliquait qu’il faudrait 7000 éoliennes pour égaler les 1 760 MW de Fessenheim (avant qu’EDF rectifie en citant en fait la centrale du Blayais, deux fois plus puissante).
“Il faudrait 7 000 éoliennes pour remplacer Fessemheim” @MartinLeys d’EDF Nouvelle Aquitaine #LeMondeSmartCities @lemonde_cities pic.twitter.com/EHUPswELMP
— Le Monde Cities (@lemonde_cities) May 31, 2018
Les calculs de Paul Neau – célèbre défenseur de la sobriété énergétique – arrivait plutôt à 900 éoliennes pour compenser les deux réacteurs fermés. Des chiffres déjà énormes pour une seule centrale. Et à l'échelle nationale ?
T’as pas cent pales ?
Sachant que la puissance moyenne d’une éolienne (verticale et horizontale mélangées) tourne autour d’1MW, il suffirait mathématiquement de faire une règle de trois pour trouver notre besoin en infrastructure. Selon EDF, la consommation nationale d’électricité des Français s’établit depuis 2010 autour de 474 TWh par an (en térawatt-heures, soit 474 millions de mégawatt-heures), dont un tiers directement pour nos usages domestiques.
Une éolienne moyenne produit 1 MWh par heure, donc 8760 MWh par an en tournant 24h/24. Pour atteindre 474 TWh, il "suffirait" donc d’installer... 54 110 éoliennes. Voire moins si l’on choisit des éoliennes terrestres 3 MW ou des super-éolienne maritimes pouvant monter jusqu’à 12 MW.
« Votre mission si vous l’acceptez : planter 54 000 éoliennes »
Challenge accepted ! Alors c’est parti, on dresse nos mâts et basta ? Oui et non. Peu importe sa puissance maximale, une éolienne ne fonctionne pas à plein régime en permanence, à la différence d’une centrale. Cela dépend… du vent. Hé oui. Il faut donc installer plus d’éoliennes et dans des zones où le vent est fort (mais pas trop, pour ne pas casser le matériel) et fréquent toute l’année. Cela réduit la surface française pouvant accueillir ces infrastructures ET augmente à la fois le nombre d’éoliennes nécessaires. De beaucoup ? Laissons la parole à Jean-Marc Jancovici, ingénieur expert en consommation énergétique.
Six enseignements des cours de J.M. Jancovici aux Mineshttps://t.co/ekZ6REHqoD
— Jean-Marc Jancovici (@JMJancovici) July 20, 2020
Selon les calculs qu’il a publié sur son site, et l’observation des moyennes européennes, la production à pleine puissance avoisine les 2000 heures par an seulement. Dans ce cas de figure, une éolienne d’1MW aura produit en 365 jours 2 GWh (2000 x 1 MW). En arrondissant par excès à 500 TWh nos besoins en électricité, JM Jancovici considère qu’il faudrait couvrir environ 25 000 km² d’éoliennes dans des zones correctement ventées. L’équivalent de 5 % de notre superficie, ce qui rend la tâche ardue puisque le pays ne compte pas assez de surfaces où la puissance maximale de production serait atteinte. Et encore : elle sera tteinte par intermittence ; à d’autres heures, la production éolienne sera nulle. Zéro, nada, rien.
L’étude réalisée en 1998 par Eolien Développement envisage de recouvrir les Cévennes, et toute la côte allant de la pointe Bretonne à la mer du Nord, pour produire 10 % d’énergie éolienne de notre mix. Faut-il faire une croix sur les autres 90 % ? Sûrement pas ; impossible n’est pas Français.
Alors, où en est la France ?
En 2019, la production éolienne française a atteint le chiffre honorable de 34 100 GWh. Grosso modo, 7,2% des besoins estimés plus haut par EDF. Pas de quoi décoiffer vos cheveux, mais loin de s’en contenter le gouvernement a signé un plan énergétique (le PPE) visant à déployer 34 100 MW d’éolien terrestre et 4700 MW en mer. Car c’est ce secteur qui promet le plus.
La France a installé en 2018 au large du Croisic (Loire-Atlantique) sa première turbine offshore : Floatgen, un mastodonte de 60 mètres de haut avec des pales de 40 mètres de long. Cette éolienne 2 MW a délivré 6 GWh en 2019 en tournant 94 % du temps. C'est pourquoi, une seconde éolienne flottante de 5MW cette fois vient d’être signée. A l’horizon 2023, Eolink (son fabricant) prévoit que ce géant de 150 mètres de haut produira 14 GWh par an. De quoi diviser par deux notre besoin en éolien...
Soulignons en conclusion que personne n’a jamais envisagé de ne reposer QUE sur l’énergie éolienne. Ne serait-ce que parce que nous ne sommes pas équipé pour stocker cette électricité jusqu’aux heures où l’on pourrait la consommer. L'éolien serait surtout un moyen de soutenir la transition vers une mobilité électrique par exemple ou, comme le suggère JM Jancovici, diversifier notre mix énergétique en réduisant de 25 % notre recours à des énergies fossiles ou nucléaires. Un appel d’air bienvenue dans la lutte pour sauver le climat.