2021 M04 22
Depuis que le gouvernement néo-zélandais a accordé, en 2017, un statut "d'entité vivante" au fleuve Whanganui, lui donnant de facto des droits et une personnalité juridique, plusieurs pays ont suivi (ou fait semblant de suivre) cette tendance ancrée dans la préservation de nos espaces naturels millénaires. L'Inde a ainsi accordé une personnalité juridique au Gange et à des lacs et forêts himalayennes… pendant quelques mois, avant de se rétracter.
En France, comme nous l’expliquait il y a quelques semaines Virginie Maris, chercheuse en philosophe de l’environnement au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive du CNRS, "le classement en Parc naturel, par exemple, n’est pas contraignant. Leur charte est une sorte de guide d’horizon et son application continue de reposer sur la volonté des élus". Autant dire que si rien ne s’y construit, rien ne les protège vraiment.
Selon Alexandre Moustardier, avocat chez ATMOS, "la création d’une personnalité juridique nouvelle conduirait à de nombreuses problématiques, sans pour autant avoir un réel intérêt d’un point de vue environnemental". Il donne l’exemple d’une crue potentielle de la Seine : "estimeriez-vous le fleuve responsable d’être sorti de son lit ?", arguant que le système actuel est, dans les faits, de plus en plus efficace et suffit à indemniser les préjudices écologiques.
La France ambitionne de gérer les conséquences, non les causes
Ainsi se veut la nouvelle loi sur le "délit d’écocide", votée en novembre dernier à l’Assemblée nationale. Elle se focalise sur les conséquences d’une pollution éventuelle, pas sur les causes objectives d’une dégradation immuable. Car, comme le précisaient alors les deux ministres concernés, Barbara Pompili (Environnement) et Éric Dupond-Moretti (Justice), cette loi aura pour objectif de décourager les habituels pollueurs-payeurs, "car elle punira de manière beaucoup plus sévère et que l’intention de nuire n’aurait pas besoin d’être prouvée".
La France semble donc avoir opté pour une loi "au cas par cas", sous le coup de laquelle les riches industriels n’auront qu’à payer les fortes amendes. Toutefois, derrière les arguments a priori "sévères" du gouvernement, n’est-ce pas attendre que le mal soit fait ? Agir en représailles, une fois les méfaits commis ?
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En Nouvelle-Zélande, c’est sous l’impulsion des Maoris, qui formulaient depuis des décennies une demande de reconnaissance du fleuve Whanganui, que la loi a évolué. En effet, le peuple autochtone de l’archipel ne fait pas de distinction entre les êtres vivants et la planète qui les accueille. "Notre terre est personnifiée, disait en 2017 au Monde Jacinta Ruru, codirectrice du Centre de recherches maori à l’université d’Otago, à Dunedin. Nous nous percevons comme faisant partie de l’environnement. Notre bien-être et notre santé dépendent de ceux de notre environnement et réciproquement."
Concrètement, le Parlement néo-zélandais a décidé que les droits et les intérêts du fleuve pourront être défendus devant la justice par deux personnes, un représentant des Maoris et un membre du gouvernement néo-zélandais. 290 kilomètres de rivière dans l’île du Nord seront ainsi "protégés", mais pas au sens où on l’entend dans les tribunaux français. Une plus juste équivalence serait celle d’un parent qui représenterait son enfant mineur devant la justice, ou la saisirait en cas de besoin.
"Donner des droits au Gange, le gros coup de com' d’un État indien
C’est la même dimension, éminemment spirituelle, qui a poussé une partie des autorités indiennes à faire du Gange, fleuve long de 2500 kilomètres, une aire en théorie protégée des massifs rejets industriels ou d'égouts. Malheureusement, ce révolutionnaire nouveau statut de "personnalité morale", célébré en 2017 dans les médias du monde entier, était une jolie chimère. La taille du cours d’eau, les pratiques culturelles et le caractère local de la décision auront eu raison de la décision.
Effectivement, c’est le tribunal de l’État de l'Uttarakhand qui avait accordé ledit statut juridique au Gange et à son affluent, la Yamuna, englobant dans le même geste certains lacs, forêts et glaciers himalayens. Un coup de communication davantage qu’une réelle promesse de prise en charge. Ainsi, quatre mois après ce coup d’éclat très médiatisé, la Cour suprême indienne a cassé l’arrêt dans l’œuf. "Cela aurait signifié la fin de l’installation d’industries au bord du Gange… Tout simplement impossible", avouait alors Rakesh Jaiswal, militant de l’ONG Eco Friends India. L’argent a gagné.
Un autre exemple : en Équateur, alors que la Constitution du pays reconnaît en théorie des droits à la nature, en pratique, les pratiques polluantes n’ont jamais cessé. En France, "la nature est essentiellement envisagée comme une entité dans le cas des grandes catastrophes écologiques, marées noires et accidents industriels", se désole Virginie Maris. Cette culture de la gestion de conséquences dramatiques "à retardement" doit donc cesser.