2020 M12 10
Lors d’une interview accordée au Journal du dimanche, Barbara Pompili et Éric Dupond-Moretti confirmaient leur volonté de répondre à l’une des demandes de la Convention citoyenne pour le Climat (CCC) : punir les attaques contre les écosystèmes terrestres.
La proposition de la CCC était ainsi formulée : « Adopter une loi qui pénalise le crime d'écocide dans le cadre des 9 limites planétaires, et qui intègre le devoir de vigilance et le délit d'imprudence, dont la mise en œuvre est garantie par la Haute Autorité des Limites Planétaires. » Selon l’ONG Stop écocide, ce crime se définit comme « une destruction et un dommage massifs des écosystèmes — un dommage à la nature qui est étendu, grave ou systématique ». Citons par exemple le ravage des océans par les pollutions plastique, la déforestation pour l’extraction minérale ou la culture de soja, la contamination des terres et de l’eau de la fracturation hydraulique ou encore la pollution de l’air due à l’arme chimique Agent orange.
Si l’annonce faite fin novembre 2020 semble réjouissante, les deux ministres ont cependant rapidement nuancé en précisant qu’il ne s’agissait pas juridiquement d’un « crime » mais de « plusieurs nouveaux délits », notamment un « délit général de pollution » et un « délit de mise en danger de l'environnement », des sanctions qui seront modulées selon le degré d'intentionnalité de l'auteur.
Qu’est-il prévu ?
Ces délits devraient être précisés dans le cadre du projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée et dans la future loi Climat reprenant les propositions de la CCC, prévue pour 2021.
D’après le ministre Dupont-Moretti, une nouvelle juridiction environnementale spécialisée à l’échelle de chacune des 36 cours d’appel sera créée pour les actions relatives au préjudice écologique et à la responsabilité civile. Certains des agents de l’environnement de l’Office français de la biodiversité pourront devenir des officiers de police judiciaire, avec une compétence nationale. Surtout, près de cinquante infractions prévues au Code de l’environnement devraient être punies plus lourdement, « par un doublement des quantums de prison ou d’amende ».
« Si jamais on abîme l'environnement, on sera condamné. (Barbara Pompili) »
L’intention de nuire ne devra pas être prouvée pour le délit général de pollution. « Ce sera un délit transversal. Si jamais on abîme l'environnement, on sera condamné », a déclaré la ministre Barbara Pompili sur France Info. La justice pourra également appliquer un principe de pollueur-payeur beaucoup plus sévère. "Et en plus, si quelqu'un le fait intentionnellement – c'est-à-dire plutôt que d'aller jeter mes déchets dans une déchetterie où je vais devoir payer, je vais les jeter là où cela ne se voit pas trop et je vais faire des économies –, il pourra être condamné à dix fois l'économie qu'il a réalisée en ne jetant pas ses déchets là où il fallait", a-t-elle ajouté.
Le délit de mise en danger de l'environnement, au contraire, vise quant à lui à "pénaliser la mise en danger délibérée de l'environnement par des violations délibérées d'une obligation", explique le ministre de la Justice. La peine encourue sera "d'un an de prison et 100 000 euros d'amende".
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— BFMTV (@BFMTV) December 4, 2020
Vives critiques
Interviewée par Médiapart, la juriste Marine Calmet, présidente de l’association Wild Legal, regrette le fait que le délit soit retenu et non le crime, comme cela avait pourtant été demandé par la CCC : « Le délit est plafonné à dix ans d’enfermement et à un certain montant d’amende, tandis que le crime peut entraîner la prison jusqu’à perpétuité et des amendes potentiellement bien plus élevées. Du côté de Wild Legal, nous proposons des amendes allant jusqu’à 20 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise concernée. » Selon elle, "le gouvernement a balayé la proposition" d'avoir "des magistrats professionnels et un jury populaire pour pouvoir juger les affaires de criminalité environnementale".
Elle poursuit en déplorant que l'Etat français « ne fait qu’élargir à l’air et au sol un délit de pollution qui existe déjà pour l’eau dans le droit français – et qui est d’ailleurs peu appliqué ». On serait donc loin d’une « révolution juridique ». Pour la CCC, la réaction est aussi fortement mitigée. Interrogé par France TV Info, Guy Kulitza, membre de la convention, s’est dit déçu : « On n'est manifestement pas sur l'écocide, on est sur un délit de pollution. »
Dans Le Monde, c’est le chercheur (CNRS) en sciences humaines, sociales et politiques Grégory Salle qui parle de « faux-semblants » dans une tribune publiée le 2 décembre 2020. Il déplore une « instauration tardive » qui « sera sans grands effets » et rappelle à son tour que des lois existent déjà, elles aussi sans grands effets, à l'instar de celle qui concerne l’obsolescence programmée : "C’est la production massive de déchets inutiles et nuisibles qui affecte ici l’environnement. Or on ne peut pas dire que la pénalisation de ce délit entré en 2015 dans le code de la consommation compte pour beaucoup dans l’engorgement des tribunaux. »
Grégory Salle insiste : « C’est notre système économique lui-même qui repose sur la destruction de l’environnement. Celle-ci est inscrite dans la logique motrice du mode de production capitaliste et des couples qu’il génère : productivisme et consumérisme, extractivisme et gaspillage. »
Objectif : dépasser le niveau national
Si l’annonce du gouvernement ne fait pas l’unanimité, elle a relancé le débat autour de l’échelle à prendre en compte lorsqu’il s’agit de la protection de l’environnement. L'avocat Arnaud Gossement rappelle ainsi dans Reporterre que « l’écocide concerne des dommages qui par définition n’ont pas de frontières, et pour sanctionner l’écocide il faudrait avoir des mécanismes de police, de coopération judiciaire au niveau international dont on ne dispose pas actuellement. »
Certains activistes militent pour que l’écocide soit reconnu comme un crime contre l’humanité. C’est l’ambition de la fondation Stop Ecocide. Les juristes, juges et avocats réunis par l’organisation ont dans le viseur le droit pénal international. Mais pour le moment, les pays qui ont fait le pas sont encore rares. En France, on avance, lentement mais sûrement.