Enterrer le CO2 sous la mer : une fausse bonne idée ?

TotalEnergies a lancé un projet géant de stockage de CO2. Le dioxyde de carbone émis par un fabricant d'engrais hollandais va ainsi être enfoui dans le sous-sol de la mer du Nord. Décryptage de cette "solution" qui fait déjà débat.
  • TotalEnergies, le géant pétrolier français, a annoncé au début du mois se lancer dans un quatrième projet de stockage de CO2, au large du Danemark, en mer du Nord. On appelle ça le « carbon capture and storage » (CCS). Avec ce procédé, ce sont 5 millions de tonnes de carbone qui devraient ainsi être emprisonnés sous la mer d'ici à 2030. Une solution au réchauffement climatique qui a séduit de nombreux pays, mais qui fait pas mal parler... Alors, enterrer le CO2, fausse solution ou vrai problème ?

    Transformer le CO2 en caillou

    Actuellement, il existe déjà, à travers le monde, plusieurs projets de capture et de stockage du CO2, menés principalement par des pays du nord de l’Europe comme la Norvège et les Pays-Bas, ainsi que des projets américains et australiens. Mais ceux-ci ne sont pas sous-marins. 

    Revenons en 1972, à Valverde au Texas. C'est là que naît la première technologie CCS, dans un champ pétrolier. Mais à cette époque, l'enjeu est financier, pas écologique. L'objectif est alors de récupérer le CO2 émis par une raffinerie pour la réinjecter dans un champ de pétrole et augmenter sa pression. En 2006, cette technologie se tourne vers l'environnement avec l’entreprise Reykjavik Energy. En s’associant à l’Université d’Islande, au CNRS de Toulouse et à l’Earth Institute de l’Université de Columbia, elle lance le projet Carbfix. Les tests sont prometteurs et le projet perdure. En 2014, l'usine est mise en démonstration sur le site de la centrale géothermique d’Hellisheidi, en Islande. Neuf ans plus tard, d'après les Echos, elle a permis de stocker quelque 70 000 tonnes de CO2 dans le sous-sol. Les scientifiques sont parvenus à accélérer un processus naturel qui prend normalement des milliers d'années : il faut deux ans à 95 % du CO2 injecté dans le sous-sol pour se transformer... en caillou.

    Un terrain sous-marin favorable

    Le stockage à long terme du CO2 sous terre doit être réalisé entre 800 et 3000 mètres de profondeur, et dans un environnement ultra-perméable. Des conditions qu'on retrouve précisément dans les sous-sols marins. On estime même que les aquifères salins (formation géologique constituée de roches sédimentaires poreuses renfermant une eau salée (donc impropre à la consommation) représentent environ 80 % des capacités théoriques de stockage du CO2 dans le monde. La mer du Nord, justement, possède un sous-sol particulièrement adapté. C'est pourquoi TotalEnergies y lance le projet Bifrost, avec l'entreprise publique danoise Nordsofonden. C'est le plus gros projet de ce type jamais réalisé en Europe puisqu'il s'étendra sur une surface de plus de 2000 km².

    En Norvège, depuis 2018, on liquéfie le CO2 avant de le transporter jusqu’à une plateforme pétrolière, d’où il est injecté (via des pipelines) à environ 3000 mètres sous le plancher marin. Un procédé breveté par l’entreprise pétrolière Shell qui permet de « nettoyer » le CO2, et donc de limiter radicalement sa pollution. C'est là-bas aussi que verra le jour, en 2025, le projet Northern Lights, dont TotalEnergies est aussi l'un des actionnaires. Ce projet de stockage sera le seul à s'ouvrir à des industriels étrangers, notamment à un fabricant d’engrais aux Pays-Bas. 

    Cette solution, si elle est encore coûteuse et perfectible, fait partie de celles mises en avant par le GIEC pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Dans le dernier volet de son sixième rapport, publié le lundi 4 avril, près de 3000 pages sont dédiées aux options pour atténuer le réchauffement climatique. Parmi elles, plusieurs chapitres sont dédiés aux CSS et CCSU (les projets qui réutilisent ensuite le CO2). Les experts les qualifient même d’« options d’atténuation essentielles ». Des options qui mériteraient même d'être accélérées car « actuellement, les taux mondiaux de déploiement du CCS sont bien inférieurs à ceux des trajectoires modélisées pour limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C ou +2 °C ».

    Mais le GIEC reste tout de même prudent, rappelant que la technologie du captage-stockage du CO2, gourmande en eau et aux infrastructures coûteuses, fait face à « des défis technologiques, économiques, institutionnels et écologiques ». 

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